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dimanche 26 septembre 2010

Grand Nord : la bataille du XXIème siècle ?

Le 28 juillet 2010, Radio Canada et le National Post rapportaient la découverte de l'épave du HMS Investigator, disparu il y a 155 ans en Arctique alors qu'il recherchait le trajet du mythique passage du Nord-Ouest. Amis lecteurs, je pense ne pas me tromper en supposant que la nouvelle (dont vous n'avez selon toutes probabilités pas eu connaissance) vous a laissés de marbre à l'époque. Pourtant, si l'on en croit le ministre de l'environnement canadien Jim Prentice, c'est un tort : il s'agirait en effet d'une découverte "fondamentale".

Pas étonnant, me direz-vous. Une telle épave présente certainement un grand intérêt historique pour le Canada, qui peut ainsi rendre hommage aux intrépides aventuriers qui bravèrent la banquise pour cartographier le grand nord. Sans doute. Néanmoins, je ne peux pas m'empêcher de noter qu'aux yeux des Canadiens du début du XXIème siècle, elle semble surtout présenter un intérêt politique de premier plan.


L'Arctique échauffe les esprits
C'est que depuis quelques années, le Canada s'inquiète. Le réchauffement climatique menace en effet de rebattre toutes les cartes géopolitiques de l'Arctique et le pays ne voudrait pas rater le coche. L'enjeu est énorme : gaz naturel, pétrole, diamants, minerais, poissons... c'est environ le quart des ressources naturelles mondiales qui dormirait pour l'instant sous les glaces. Avec la fonte de ces dernières, cet eldorado est en passe de devenir accessible, ce qui suscite la convoitise de tous les pays circumpolaires (États-Unis, Canada, Russie, Danemark, Norvège et Russie).

D'un océan à l'autre... et à l'autre ?
Si la souveraineté du Canada sur les îles qui bordent sa côte nord n'est pas contestée, les choses sont loin d'être aussi simples lorsque l'on commence à s'interroger sur les fonds marins. D'après la Convention des Nations Unies sur le droit de la Mer, qui a été ratifiée par le Canada, un état bénéficie d'une zone économique exclusive, qui s'étend sur 200 miles marins à partir de sa côte. L'état côtier y dispose d'un droit exclusif de pêche et de propriété des ressources minérales des fonds. Au delà de cette zone commencent les eaux internationales, dans lesquelles tout autre état peut pêcher, effectuer des recherches, naviguer comme bon lui semble et se livrer à des opérations de prospection. La règle, simple en apparence, cache cependant une exception redoutable : le plateau continental. La Convention stipule en effet que dans le cas où le plateau continental d'un pays (c'est à dire le plateau sous-marin sur lequel se prolonge un continent et qui précède les abysses) s'étendrait au delà de 200 miles marin, le pays pourrait revendiquer l'extension de sa zone économique exclusive, soit jusqu'à 350 miles marins de la côte, soit jusqu'à 100 miles d'une ligne tracée à partir d'une profondeur moyenne de 2500 mètres... On comprendra dans ses conditions l'intérêt soudain que portent les pays arctiques à la cartographie de leur plateau continental !

Dans ce domaine, la Russie possède sans conteste une longueur d'avance : elle s'intéresse en effet de très près aux chaînes de montagnes sous-marines de l'Arctique (dorsales de Lomonossov et de Mendeleïev), qu'elle revendique depuis plusieurs années comme des prolongements de son plateau continental... au grand dam des autres pays circumpolaires.

L'épineuse question du passage du Nord-Ouest
Si le débat autour des profondeurs marines est loin d'être réglé, c'est également vrai des eaux qui les recouvrent. L'ouverture annoncée du passage du Nord-Ouest représenterait en effet une aubaine pour les armateurs du monde entier, qui pourraient de ce fait effectuer le trajet Londres /Yokohama en 16 000 km au lieu de 23 000 km actuellement via le canal de Panama. La chose n'est certes pas pour demain. Mais dans un avenir plus lointain, l'ouverture du passage risque de se traduire par une forte augmentation de la menace de marées noires sur un écosystème particulièrement fragile et en pleine mutation. Outre la faune et la flore, un tel évènement frapperait durement les Inuits, dont la culture est déjà fortement menacée par l'occidentalisation et le réchauffement climatique. Dans ces conditions, le statut de ce passage (détroit international ou eaux intérieures canadiennes) n'est pas du tout anodin. Les règles internationales de navigation sont en effet beaucoup plus lâches que le droit maritime canadien. Nous ne devrions donc pas nous étonner que le gouvernement canadien juge "fondamentale" la découverte d'une épave au large de l'île de Banks, surtout si celle-ci démontre que le pays patrouille les eaux arctiques depuis 155 ans...

Pour en savoir plus : Perdre le Nord ? de Dominique Forget (2007) aux éditions Boréal Névé.

Image 1 : oui, bon, ce n'est pas vraiment l'Arctique, mais c'est quand même un bord de mer hivernal au nord de l'Amérique du nord... Photo Sophie.

Image 2 : carte de l'Arctique, montrant les frontières reconnues, les limites équidistantes et les revendications territoriales russes. Auteur : Séhmur.

dimanche 1 août 2010

From tobacco to climate, the reuse of a winning method

Looking back at the 20th century, we may pride ourselves of living in an enlightened period: after decades of struggle, science has finally managed to defeat the powerful tobacco lobby. The task has been far from easy. In fact, it almost seems like people in developed countries had to reach the murky bottoms of addiction and denial to start coming back to their sense again.

A widespread addiction...
During the first half of the 20th century, cigarette sales literally skyrocket, from 80 cigarettes per inhabitant per year in the US in 1910 to 10 cigarettes per day and per inhabitant in 1950 - which equals to more than 4,000 cigarettes per year for each smoker. In 1951, it is estimated that between 3% and 5% of the budget of an American consumer is spent on tobacco. No surprise then that at the time, each rise of tobacco price generates a strong opposition!

... that raises suspicion among scientists
Yet, even at this early stage, the spectacular infatuation with tobacco does not seem to please everybody. Some suspicious scientists and doctors think that the product might be addictive, while others blame tobacco for the rise in lung cancer rate. One must admit that this rise has been so sudden that it does indeed need to be explained. In 1919, the disease is an oddity with a prevalence of 0.6 cases for 100,000 deaths, the kind of thing the average doctor is likely to see only once in his career. In the 50s, it has become the most common type of cancer after stomach cancer, with a prevalence of 31 cases for 100,000 deaths. As the disease death rate grows, so does the number of scientific studies linking the phenomenon with tobacco use, to the point that in 1954, the American Health Minister declares that one should now consider that the link between tobacco and lung cancer is established.

The recipe of the tobacco lobby: how to gain time with advertisement campaigns...
For the tobacco industry, the only thing that is established at this stage is that without swift action, this kind of sentence is likely to degenerate into some restrictive legislation. This would no doubt be a disaster for the industry's profits, which now reach the huge level of 8 billions dollars for the USA only. To prevent this, several advertising campaigns are started in 1954, with the aim of denying the link between tobacco and lung cancer. Scientist are hired to write pamphlets that will be distributed to medical offices and published in the columns of the national press. The rise of lung cancer being difficult to deny, the industry tries to demonstrate that this might be due to other factors than tobacco, such as the rise in air pollution. The lobby also promotes the use of cigarettes with filter, declared to be less harmful... while increasing in parallel the nicotine doses in these.

All this smoke cloud gives good results: it is not before 1962 that the American government decides to create a group of scientific experts in charge of assessing the real impact of cigarette consumption on health. In 1964, the first assessment of this committee is made public and the link between tobacco and cancer is reasserted. Things then go all wrong for the tobacco industry: in spite of claims that tobacco is helping many American citizens to make a living, the Federal Cigarette and Advertising Act is finally voted. From 1966, it obliges the industry to write on cigarette package that the product might be harmful.

... big money and endless "scepticism"
This blow is followed in 1971 by the ban of cigarette advertising on TV and radio. But the tobacco lobby does not let this get it down. At first, it offers 10 million dollars to the American Medical Association (AMA), effectively silencing it for 10 years. It then gets involved in a large propaganda, mostly based on a scientist-written book with an evocative name: "Smoking is not dangerous". The lobby strategy, which is described thoroughly in internal notes, consists in casting doubt on the real danger of tobacco by claiming that there is not enough data to be sure of it and then endlessly moving the goalposts. Among numerous claims, the lobby will successively put forward that scientific studies are biased because smokers are more likely to be submitted to screening for cancer and thus diagnosed (1974) and that the anti-smoking movement is primarily a conspiracy against personal freedom (1978).

Passive smokers: the last blow
With what might retrospectively be seen as clearsightedness, the tobacco industry points out as early as the 70s that the passive smoker issue is now the biggest threat it has to deal with. If the link between passive smokers and cancer is established, a new set of restrictive laws is sure to be put into place. During several years, the industry will try to silence anti-smoking movements by ensuring that ads that are too clearly against tobacco are not published within national newspapers. This is not too difficult because tobacco advertisement is a major source of profit for newspapers at the time... Yet, in spite of all efforts, the passive smoker issue finally surfaces in the 1986 annual report of the group of experts that was put into place in 1962. This marks the beginning of decaying prospects in developed countries.

During the 90s, numerous newspapers start refusing tobacco ads. At the same time, trials and bans against smoking in public places flourish. After five decades of ruthless battle, cigarette sales in developed countries start to plummet: in 2006, only 24% of American men and 18% of women are alleged smokers, which should be compared to more than 50% of men and 35% of women in 1965.

The show must go on
Yet one should not deduce from this that prospects have become really bleak for tobacco lobbyists. First, the market of developing nations is still open and growing. Furthermore, even in developed countries, there is something to be done with the learning of 50 years of propaganda against a scientific consensus. We should maybe not wonder too much why the past tobacco strategy so strangely resembles current climate change denial. One should be silly not to reuse a winning method!

If we really want to pride ourselves of living in an enlightened time, we may be well advised to look thoroughly at the financing sources of self-declared "non-conformist" scientists and consider with scepticism any of the conspiracy theory flourishing on internet and newspapers. This is the price to pay to make sure that large industry profits are not taken more into account than citizens' own best interests.

Source: most of the information related here comes from the well-documented website Tobacco.org

Picture: More doctors smoke camels than any other cigarettes

Version française : Du tabac au climat, ou les dessous d'une histoire sale

mercredi 23 juin 2010

La vengeance secrète du mammouth

Même éteints depuis des milliers d'années, les mammouths n'en finissent pas de déchaîner les passions. Dans le monde fascinant de ces grands mammifères, tout est en effet sujet à débat : pourquoi les représentants du genre ont-ils disparu ? Peut-on cloner leurs restes ? Et dernièrement, quelle est la part de responsabilité de ces espèces dans le petit âge glaciaire qui a frappé l'hémisphère nord il y a 12 000 ans ?

La question a été soulevée fin mai par Smith et al. dans un article scientifique paru dans la revue Nature geoscience. Il y a un peu plus de 13 000 ans, le continent américain abritait un bestiaire qui aurait sans nul doute ravi l'auteur d'Alice aux pays des merveilles. On y trouvait des castors de la taille d'un fauteuil, des tigres à dents de sabre, des tortues pesant aussi lourd qu'une voiture, des chameaux toisant plus de 2 mètres à l'épaule et des mammouths. Mille ans plus tard, ces espèces avaient disparu, emportées par une extinction de masse spectaculaire. On observe en parallèle de cet épisode d'extinction massive une baisse marquée des concentrations de méthane (un gaz à effet de serre très puissant) dans l'atmosphère et une forte chute des températures correspondant à l'épisode glaciaire dit du Dryas récent. Smith et al. envisage qu'une partie de cette baisse (entre 13% et 100%, ce qui fait quand même une belle échelle de variation) pourrait être expliquée par l'extinction des grands ruminants américains comme le mammouth, qui émettaient jusque là du méthane.

Le sujet est plus glissant qu'on ne le pense. Car à supposer que la disparition des mammouths américains puisse en partie expliquer l'avancée des glaces il y a 12 000 ans, la question de la cause de cette disparition reste ouverte. Dans leur article, Smith et al. reprennent à leur compte la théorie d'une chasse excessive de l'espèce par les premiers Amérindiens, qui seraient arrivés il y environ 12 000 ans sur le continent américain. Vu d'Europe, il est difficile de mesurer à quel point cette théorie déclenche les passions en Amérique du nord. Les Amérindiens vivent en effet particulièrement mal une hypothèse qu'ils estiment avoir été créée de toutes pièces pour dédouaner les Blancs de la gestion plus que discutable des ressources naturelles sur le sol américain depuis 1492. Même sans rentrer dans ce débat, Smith et al. semblent mal renseignés sur les dernières avancées scientifiques en ce qui concerne l'Amérique précolombienne. En effet, il semble de plus en plus probable que l'arrivée des premiers Amérindiens remonte à bien plus de 13 000 ans. Certains archéologues avancent des chiffres allant jusqu'à plus de 30 000 ans. Certes, ces avancées ne permettent pas de répondre au pourquoi de la disparition du mammouth américain. Néanmoins, elles rendent nettement moins plausible l'image d'une horde sanguinaire d'Amérindiens fraîchement arrivés se jetant sur le moindre mammouth jusqu'à faire disparaître l'espèce.

Il est possible que la disparition des mammouths ait eu des conséquences inattendues sur le climat. Il est également possible que la chasse pratiquée par les Amérindiens ait entraîné une diminution des effectifs de l'espèce. De là à dire que les humains d'il y a 12 000 ans sont responsables, même en partie, d'un âge glaciaire, il y a un pas. Suffisamment important pour ne pas être franchi dans l'état actuel des connaissances.

Dans un souci d'objectivité, je me vois contrainte de vous faire également part ici de l'hypothèse émise dans l'âge de glace 2 de Blue Sky Studios : le dernier mammouth américain femelle aurait eu un conflit d'identité. Mais que font les psychologues pour éléphantidés ????


Image : Age de glace 2

lundi 21 juin 2010

Du tabac au climat, ou les dessous d'une histoire sale

Ne nous y trompons pas : en théorie, nous avons de la chance de vivre dans une époque éclairée. Cela n'a en effet pas toujours été le cas. Durant le vingtième siècle par exemple, les choses étaient bien différentes d'aujourd'hui. Pour commencer, les gens étaient des drogués. J'en veux pour preuve l'explosion de la consommation de cigarettes qui a marqué la première moitié du siècle, les ventes passant de 80 cigarettes par habitant et par an aux États-Unis en 1910 à 10 cigarettes par jour et par habitant en 1950 — ce qui représente tout de même plus de 4000 cigarettes par an pour chaque fumeur. En 1951, il est estimé que 3 à 5% du budget des consommateurs américains est consacré au tabac. Ne nous étonnons pas dans ces conditions des réactions négatives qui accompagnent à l'époque chaque hausse du prix des cigarettes, vécue comme un racket.

Étrange corrélation
Malgré le capital sympathie dont jouit le tabac entre 1900 et 1950, certains aspects de sa consommation ne manquent pas d'inquiéter quelques esprits chagrins. Outre la dépendance que semble créer le produit, la hausse de la mortalité due au cancer du poumon intrigue fortement les scientifiques. Il faut reconnaître que cette dernière est spectaculaire ; en 1919, la maladie est encore une rareté avec une prévalence de 0,6 cas pour 100 000 décès, le genre de chose que l'on ne voit qu'une fois dans une carrière de médecin. Dans les années 50, elle est devenue le cancer le plus commun après le cancer de l'estomac, avec une prévalence de 31 cas sur 100 000 décès. Les études publiées dans les revues scientifiques, de plus en plus nombreuses, incitent en 1954 le ministre américain de la santé à déclarer "qu'il faut maintenant considérer comme établi le lien entre le fait de fumer et le cancer du poumon".

Une propagande qui s'appuie d'abord sur la publicité mensongère...
Ces propos ne sont pas du goût de l'industrie du tabac, dont les bénéfices sont d'ores et déjà colossaux (ils seront estimés à 8 milliards de dollars pour le seul territoire américain en 1964). Très vite, cette dernière s'organise pour répondre à des attaques qui menacent de dégénérer en législation contraignante. Dès 1954, elle débute sa lutte par des campagnes publicitaires niant le lien entre tabac et cancer. Elle débauche également des dizaines de scientifiques, qui mettent en doute ce lien dans des pamphlets distribués chez les médecins et dans la presse nationale. La hausse de la prévalence du cancer du poumon étant difficile à contester, l'industrie s'attache à insinuer subtilement que cette évolution pourrait être due à d'autres facteurs que la cigarette, comme la pollution de l'air. Elle tente également de convaincre le consommateur de l'innocuité du produit en promouvant les cigarettes à filtre — tout en augmentant la dose de nicotine dans ces dernières.

Le nuage de fumée que soulève la controverse orchestrée par l'industrie du tabac se révèle payant. Ce n'est qu'en 1962 que le gouvernement américain décide de créer un comité d'experts scientifiques chargé d'évaluer les impacts du tabac sur la santé. En 1964, le couperet tombe : le comité indique qu'il existe bel et bien un lien entre le cancer du poumon et la cigarette. En dépit des objections de l'industrie du tabac, qui fait remarquer que la cigarette assure un revenu à de nombreux citoyens américains, le législateur finit par voter le Federal Cigarette Labeling and Advertising Act, qui oblige l'industrie à partir de 1966 à préciser sur les paquets que le produit est potentiellement nocif.

... puis sur les messages simplistes qui sèment le doute
L'industrie du tabac ne se laisse pas abattre par ce coup dur, qui est suivi en 1971 par l'interdiction de la publicité sur les cigarettes à la télévision et la radio. Elle commence par s'assurer du silence — qui va durer 10 ans — de l'Association Médicale Américaine (AMA) par un don de 10 millions de dollars. Elle entame ensuite une vaste campagne de propagande en finançant en sous-main le livre d'un scientifique, au titre évocateur : "Fumer n'est pas dangereux". Sa stratégie, qu'elle décrit en détail dans des notes internes, consiste à semer le doute sur l'impact réel du tabac sur la santé en brodant de manière imaginative sur le thème "nous n'avons pas assez de preuves". Dans la guerre qu'elle mène contre les mouvements anti-tabac, tous les coups sont permis. Elle invoquera ainsi successivement un biais des études scientifiques, lié au fait que les fumeurs ont plus de probabilité d'être soumis à des tests de cancer du poumon et donc d'être diagnostiqués (1974) et un vaste complot contre la liberté individuelle (1978).

Les fumeurs passifs : l'iceberg du Titanic
Avec une grande clairvoyance, l'industrie du tabac identifie dès les années 70 la question des fumeurs passifs comme la principale menace qui pèse sur son activité. Que le lien entre fumeur passif et cancer soit reconnu, et c'est tout un nouveau pan de législation qui va accabler la société américaine. Pendant plusieurs années, l'industrie va utiliser le poids de son budget publicité dans les journaux américains pour s'assurer de l'absence d'articles trop explicitement anti-tabac. Malgré ses efforts, le lien entre fumeur passif et cancer sera néanmoins établi formellement en 1986 dans le rapport annuel du comité d'experts scientifiques qui officie depuis 1962. C'est le début de la fin.

Dans les années 90, de nombreux journaux décident ainsi de refuser les financements publicitaires de l'industrie. Au cours des années qui suivent, les procès contre les entreprises du tabac et les interdictions de fumer dans les lieux publics se mettent à pleuvoir. Après 5 décennies de lutte acharnée, l'industrie du tabac voit ses ventes s'effriter dans les pays développés ; en 2006, seuls 24% des hommes et 18% des femmes étaient des fumeurs aux États-Unis, contre plus de 50% des hommes et 35% des femmes en 1965.

The show must go on
Faut-il déduire de cette baise de consommation que tout va mal pour les lobbyistes de l'industrie du tabac ? Ce serait sans doute un peu prématuré. Le marché des pays en développement reste en effet ouvert. De plus, pour ceux qui souhaiteraient se concentrer sur les pays développés, il est possible de recycler sur d'autres sujets les enseignements précieux retirés de 50 ans de propagande contre un consensus scientifique. Le glissement est déjà réalisé depuis quelques années ; ne nous étonnons donc pas de trouver des liens troublants entre certains discours concernant la question climatique et la stratégie passée de l'industrie du tabac. Cette dernière a fait ses preuves !

Pour les esprits soupçonneux de notre temps, qui souhaiteraient ne pas voir les industries s'enrichir aux dépens des intérêts à long terme des citoyens, la vigilance impose de s'intéresser en détail aux sources de financements des scientifiques qui se déclarent "dissidents" et de considérer avec le plus grand scepticisme les théories du complot relayées par la presse et internet. Ce n'est qu'à ce prix que nous pourrons réellement dormir sur nos deux oreilles.

Source : l'essentiel des informations citées ici provient du site très bien documenté Tobacco.org

English version: From tobacco to climate, the reuse of a winning method

Images :
The man who thinks for himself knows... publicité pour les cigarettes Viceroy
AMA says have a cigarette, publicité pour les cigarettes Lucky Strike

dimanche 15 mars 2009

La soif guette Las Vegas

Alors, ils vinrent avec des bulldozers et créèrent une oasis au milieu du désert...

Las Vegas a longtemps vécu au dessus de ses moyens. Longtemps, elle a puisé sans compter dans le Colorado voisin afin d'alimenter des piscines, des golfs et des pelouses toujours plus nombreux. Longtemps, elle a imaginé des casinos, des golfs et des hôtels délirants. Longtemps enfin, sa croissance démographique galopante a fait pâlir de jalousie des états moins bien lotis.

... mais un jour, le désert rattrapa l'oasis

Mais aujourd'hui, la pécheresse semble avoir une soudaine gueule de bois. Alors que la ville continue d'accueillir 8000 nouveaux habitants par mois, l'eau, elle, ne suit plus le rythme. Selon l'Institut d'Océanographie Scripps, il y a même 50% de chances que le lac Mead, le réservoir gigantesque sur le Colorado qui fournit 90% de l'eau de la ville, soit asséché d'ici 2021.

L'heure est donc grave et les autorités du Nevada cherchent par tous les moyens une solution de secours pour le principal centre économique de l'état. Elles envisagent de construire un aqueduc qui irait pomper l'eau disponible dans un aquifère situé à 500 km de la ville. Toutefois, le coût du projet (au moins 3,5 milliards de dollars) et son impact sur la zone de prélèvement génèrent une vaste polémique.

En attendant, la chasse au gaspillage d'eau est ouverte à Las Vegas. Le Southern Nevada Water Authority offre 15$ par mètre carré de pelouse transformée en "jardin désertique". Les golfs font disparaître une partie de leurs pelouses vert émeraude au profit de paysages rocailleux plus adaptés aux 114 mm de précipitations moyennes annuelles de la région (en comparaison, Dubaï reçoit en moyenne 150 mm par an). Le prix du gallon d'eau augmente et des amendes sont distribuées aux citoyens qui ne respectent pas les consignes de restriction hydriques. Malgré ces efforts, la route reste encore longue : selon les chiffres publiées par le Las Vegas Sun, la consommation d'eau annuelle par personne atteignait 218 000 litres en 2008, soit plus de 3 fois la consommation moyenne d'un Français selon l'IFEN. Et la majorité de cette eau servait encore... à arroser des pelouses.

lundi 2 février 2009

Inquiétude en Californie

Selon un article paru sur Reuters le 30 janvier, la Californie semble s'acheminer vers une troisième année de sécheresse, ce qui risque d'avoir un impact dévastateur sur des pans entiers de l'économie de l'état.

Alors que les mois de décembre et janvier sont en moyenne les plus humides en Californie, la Sierra, qui fournit 2/3 de l'eau californienne, n'a pour l'instant reçu qu'1/3 des précipitations neigeuses attendues. Il est peu probable que ce déficit puisse être comblé au cours des prochains mois, car nous nous acheminons cette année encore vers un système climatique La Niña, ce qui implique des précipitations inférieures à la normale dans le nord de la Californie, où sont enregistrées la majorité des précipitations.

Des épisodes de sécheresse de 3 ans ou plus ont été rares en Californie au cours du 20ème siècle. On n'en compte que deux : l'un dans les années 30 et l'autre entre 1987 et 1992.

lundi 20 octobre 2008

Le climat : un thème qui fait l'unanimité?

Les élections américaines approchent à grands pas. Vu d'Europe, le débat présidentiel semble focalisé sur l'économie. Pourtant, les deux candidats ont aussi émis des opinions fortes sur la question du climat. Regards croisés sur une question qui a fait couler beaucoup l'encre ces derniers mois...

Le retour en grâce de la question climatique
Le vent a en effet tourné aux Etats Unis. Après des années de déni et de désinformation par l'administration Bush, l'heure semble être enfin au réalisme : pour John McCain comme pour Barack Obama, le changement climatique est un problème réel qui nécessite une action urgente. au niveau national et international. Reste à savoir laquelle!

La bourse du carbone a le vent en poupe
A l'exemple de l'Union Européenne, les deux candidats ont déclaré qu'ils privilégieraient une bourse du carbone à une taxe carbone. Ceci revient à dire qu'ils envisagent de limiter les émissions de gas à effet de serre des entreprises sans s'attaquer à la question délicate des particuliers. Par ailleurs, leurs objectifs de réduction des émissions sont sensiblement équivalents : malgré quelques divergences sur le long terme - à l'horizon 2050, McCain envisage théoriquement une réduction des émissions de 60% par rapport à 1990 alors qu'Obama affiche un objectif de 80% - les deux candidats souhaitent avant tout ramener les émissions de 2020 au niveau de 1990. Sachant qu'en 2005, les émissions américaines étaient 16% plus élevées qu'en 1990, cet objectif représenterait déjà un réel effort. Il reste toutefois bien inférieur à l'objectif européen, qui consisterait à diminuer les émissions d'au moins 20% par rapport au niveau de 1990 d'ici 2020.

Pétrole et indépendance énergétique : un cocktail explosif ...
Le flirt récent du baril de pétrole avec les 150$ a plus que jamais remis la délicate question de l'indépendance énergétique au goût du jour. La question est politiquement très délicate, et a obligé McCain à changer son fusil d'épaule. Après avoir voté régulièrement contre le forage de puits pétroliers dans l'Artic National Wildlife Refuge (ANWR, une immense zone protégée le long de la mer de Baufort), le candidat républicain a déclaré dernièrement qu'il était favorable à ce projet, ce qui ne peut qu'agréer à sa colistière, Sarah Palin. Prudent cependant (il sait sans doute que ce projet ne permettra pas de dégager de pétrole avant plusieurs années, que les réserves qu'on prette à l'ANWR sont hypothétiques et que même si elles s'avèrent aussi importantes que prévues, elles ne réprésentent qu'une goutte d'eau dans la consommation américaine), il envisage également un investissement massif dans le nucléaire - 45 centrales construites d'ici 2030 - ainsi que la promotion du charbon propre et des technologies innovantes. Les énergies solaire et éolienne le laissent en revanche dubitatif ; selon ses dires, elles sont "à 10 ans d'être utilisables".

... qui oblige à quelques contorsions
De son côté, Obama soutient une diminution aussi rapide que possible de la dépendance américaine au pétrole. Probablement conscient que la chose présente quelques difficultés, il préconise l'économie énergétique sous la forme d'une limitation de la consommation des véhicules ainsi que la promotion des énergies renouvelables, du nucléaire et du charbon propre. Sa position sur la question des forages pétroliers est assez ambigüe : le parti démocrate étant historiquement opposé au forage dans l'ANWR, il dispose sur cet aspect de peu de marge de manœuvre. Il a en revanche annoncé qu'il soutenait le forage offshore le long des côtes des Carolines et dans le golfe du Texas.

La fin de l'isolationnisme américain?
Pour les deux candidats, les Etats-Unis se doivent de reprendre leur place dans le débat international sur la question climatique. Alors qu'Obama envisage d'entraîner son pays dans le débat post-Kyoto, McCain se place dans la droite ligne républicaine et a déclaré qu'il ne souscrirait pas à un accord international contraignant si celui-ci n'incluait pas la Chine et l'Inde.

Alors, pro-républicain ou pro-démocrate? This is now the question...

jeudi 29 mai 2008

Le grand mystère de l'eau en bouteille (épisode 2)

La saga de l'eau en bouteille se poursuit. Le vent le vent semble en effet tourner pour les plastiques alimentaires. Après s'être imposés dans notre vie quotidienne, ils se retrouvent aujourd'hui dans le collimateur des consommateurs nord-américains.

Le mois dernier, le gouvernement canadien a en effet provoqué l'émoi en annonçant l'interdiction probable de commercialisation des biberons contenant du bisphénol A - un composé retrouvé dans la plupart des plastiques alimentaires. Le bisphénol A (BPA pour les intimes) est soupçonné de provoquer des troubles hormonaux chez l'être humain.

Jusqu'à présent, le risque posé par ce composé chimique semblait minime. Toutefois, de récentes études semble indiquer que le BPA migre plus facilement du contenant en plastique vers l'aliment en cas de cuisson ou de réchauffage au micro-onde...

L'Autorité Européenne de Sécurité des Aliments a annoncé qu'elle allait réévaluer le niveau d'exposition au BPA pouvant être considéré comme acceptable d'un point de vue sanitaire.

mardi 27 mai 2008

Inconvenant ours polaire

Un classement préoccupant

Ces derniers temps, Sarah Palin, gouverneur républicaine de l'Etat d'Alaska, voit les ours polaires d'un mauvais oeil. Ces derniers ne viennent-ils pas d'être classés de façon fort inopportune sur la liste des espèces menacées des Etats-Unis ? La nouvelle n'augure rien de bon pour les plantigrades. Mais pour Mme Palin, elle n'augure surtout rien de bon pour l'économie de l'Alaska. L'ours polaire classé, ce sont les côtes nord et nord-ouest de l'état qui risquent de devenir inaccessibles à l'exploitation pétrolière et gazéifère... et des millions de dollars d'investissement qui risquent de s'envoler en fumée.

La pilule est d'autant plus dure à avaler que la population d'ours polaires de l'Alaska est aujourd'hui florissante ; comment imaginer dans ces conditions qu'elle puisse totalement disparaître d'ici 2050, ainsi que le prédisent certains scientifiques ?

Indissociable alliance

Pourtant, les faits semblent donner raison à ces cassandres : si l'ours polaire se porte encore bien, la glace arctique dont sa survie dépend se porte, elle, plutôt mal. Au rythme actuel, l'Arctique pourrait être totalement dégelé en été vers le milieu du 21ème siècle selon Environnement Canada. Les investisseurs se frotteront sans doute les mains à cette nouvelle, qui offre des opportunités économiques inédites (transport maritime plus rapide, exploitation de gisement pétrolifère inaccessibles actuellement). Pour les ours polaires toutefois, une telle évolution se révèlerait fatale : elle impliquerait une période trop longue sans possibilité de chasse des phoques annelés, amenant inévitablement l'espèce à l'extinction.

Les glaces de l'Arctique : un pivot climatique

Le sort de l'ours polaire ne préoccuperait sans doute pas grand monde s'il n'était pas inextricablement lié à celui de la planète. Les glaces de l'Arctique sont en effet vitales pour l'équilibre climatique de la Terre. Leur disparition entraînerait une "surchauffe" dont il est impossible de mesurer les conséquences. Le gouverneur Palin a raison : le classement en espèce menacée de l'ours polaire est très préoccupante pour l'Alaska. En fait, elle est même très préoccupante pour l'ensemble des habitants de cette planète.

Image : au Spitzberg...

mercredi 3 octobre 2007

La profession de foi de Georges Bush


Le moins que l'on puisse dire, c'est que Georges Bush a de la suite dans les idées. Sa position vis-à-vis du problème climatique est sans doute de plus en plus difficile à justifier aux Etats-Unis comme sur la scène internationale, mais il s'y tient. Coûte que coûte.

Par son absence remarquée lors de la conférence des Nations Unies portant sur l'avenir climatique qui se tenait à New York City la semaine dernière, Mr Bush a en effet adressé un message très clair au monde : il ne veut pas d'une politique contraignante de réduction des émissions au niveau mondial et il ne voit pas du tout d'un bon oeil l'agitation récente provoquée par la nécessité de réfléchir à un successeur au protocole de Kyoto.

Mais l'on aurait tort de croire que Mr Bush est inactif. En juin, il avait exprimé le souhait de réunir les 15 plus grands émetteurs de gaz à effet de serre de la planète pour discuter de la mise en place de politiques nationales de réduction des émissions. En septembre, fidèle à son projet, le président américain a profité de la présence opportune des représentants de ces pays à New York pour les inviter à venir passer deux jours avec lui à Washington. Là, il a à nouveau déclaré être convaincu que la solution au problème climatique passe avant tout par la mise en place de "mesures volontaires" de réduction des émissions.

Reste à déterminer qui sont les fameux individus qui vont s'atteler volontairement à la tâche de réduire leurs émissions dans un monde où le recours aux énergies fossiles reste de très loin la solution la plus rentable et la plus facile à court terme. Mais peut-être que Mr Bush envisage de donner l'exemple à la fin de son mandat?

Source image : http://www.rit.edu/~slrbbu/suv.gif

vendredi 10 août 2007

Navajos: the curse of coal


"Why pick on the little Navajo nation when it is trying to help itself?" asked the Navajo tribal head Joe Shirley to the New York Times in a recent interview.

A new hope for the Navajo nation?

The reason for this bitter question lies in the heating controversy surrounding the planned construction of a 1500 megawatts coal-fired plant on the Navajo ground in New Mexico. The plant, whose planned name is Desert Rock, would provide hundreds of jobs, might help send electricity to 20,000 remote homes on the reservation and would hopefully bring $50 millions of yearly incomes to the Navajo tribe. Joe is right: these prospects sound appealing for a people whose major source of income remains the American government's grants.

Uranium and coal: a blessing or a curse?

But past experiences make the Desert Rock prospect look grimmer than advertised by Joe Shirley; the Navajo people have already suffered a lot from the hidden riches of their underground. The exploitation of their uranium mines is probably responsible for cancer-rates among teenagers that are 17 times higher than the national level. The San Juan River, which crosses the reservation, is heavily contaminated with mercury. Ozone levels in some parts of the Navajo lands are higher than permitted levels. And finally, the reservation is already plagued by two coal-fired facilities that makes the air-quality on the reservation the worst in the whole state of New Mexico.

The threat of global warming

Some people, especially non-members of the tribe, also worry about the CO2 emissions that Desert Rock would generate. Coal is already responsible of half of the 59 millions tons of CO2 emitted by New Mexico each year (20% more than the average contribution nationwide), and the new plant would add 12 millions tons of CO2 to this balance sheet. The state of New Mexico has already declared that it would not grant the plant tax breaks. But ironically, the ones who have the most to lose from the global warming are the Navajo themselves.

Since the beginning of the drought that plagues the Southwest since 1999, the traditional farming of the Navajo has become increasingly difficult, and has driven more and more people (especially the youngsters) out of the countryside. Once in the cities, the Navajos lose their mother tongue and their culture. If the Southwest climate changes for good toward a drier one as is predicted, it might become increasingly difficult for the tribe to maintain its traditions.

Like so many Native-American stories, the Navajo story is a sad one. It is the story of a proud people who has lost most of its land and is now struggling to survive with the most valuable currency it possesses, energy. It is the story of a people that might lose its soul because of this currency. As one Navajo interviewed by NPR was saying, "dry days might be here to stay. And we don't even remember how to do a rain-dance".

Photo Navajo Plant: http://www.cpluhna.nau.edu/images/navajopwrplant.jpg

Photo Mother and Child: http://mle.matsuk12.us/american-natives/sw/navajo-mother.jpg

lundi 30 juillet 2007

Le scepticisme climatique : une opinion très largement influencée par la politique

Ils sont partout : sur les blogs, sur les forums de discussion, dans les journaux et dans la rédaction des articles de Wikipedia. "Ils', ce sont les "sceptiques climatiques", les représentants d'un courant de pensée qui reste encore très important aux Etats-Unis.

Si le changement climatique est aujourd'hui perçu comme une réalité par une majorité des Américains, ses causes sont encore fortement débattues : en janvier 2007, seuls 53% de la population américaine pensait que le réchauffement était lié aux activités humaines. Tour d'horizon d'un point de vue souvent étroitement lié à des convictions politiques...

  • Dans l'esprit des sceptiques, le réchauffement climatique est une idée de gauche (bien qu'il reste à déterminer comment un phénomène physique peut manifester une affiliation politique). En sa qualité de "gauchiste", la personne qui considère que le CO2 émis lors des activités humaines est responsable d'une augmentation moyenne de la température terrestre est donc assimilée aux altermondialistes, aux environnementalistes et aux communistes (plus précisément aux Stalinistes). L'idée sous-jacente à ce classement étroit est que le "réchauffiste" est un fervent adversaire de l'économie de marché et du capitalisme (donc un non-patriote) et qu'il souhaite ardemment imposer un régime coercitif sur la population américaine au nom du sacro-saint Environnement.
  • Les anti-effet de serre ont une dent contre le GIEC. Le panel d'experts est composé selon eux de "non-scientifiques" et de gens politiquement biaisés en faveur d'un impact humain sur le climat (pour information, non seulement le GIEC est bel et bien composé de scientifiques, mais certains éminents sceptiques, comme Patrick Michaels, en font partie. La majorité des scientifiques s'accordant sur le fait que les activités humaines sont responsables d'une augmentation de l'effet de serre, le GIEC reflète ce consensus). Les sceptiques remettent particulièrement en cause le fait que les conclusions du GIEC s'appuient sur des modélisations informatiques, ce qui leur parait une source d'erreur et de simplification.
  • L'existence d'un réchauffement est généralement admise. Ce qui pose problème, c'est le concept que les êtres humains puissent y être pour quelque chose. En conséquence, les sceptiques consacrent une énergie considérable à appuyer lourdement sur les moindres brêches observées dans les derniers résultats de la recherche climatologique et brandissent comme des étendards leurs théories alternatives. Leur préférée est sans doute l'idée émise par le Danois Henrik Svensmark que les variations climatiques sont le résultat de cycles solaires. Bien que présentant indéniablement un certain mérite, cette théorie concerne toutefois des cycles de 11 ans en moyenne et ne peut donc pas vraiment expliquer des variations à long terme (ce que les sceptiques ont tendance à passer sous silence).
  • Les anti-réchauffement confondent régulièrement météo et climat (ils ne sont pas les seuls) : ils écriront ainsi triomphalement les jours de neige ou de pluie pour annoncer "qu'ils vous avaient bien dit que toute cette histoire était une fraude".
  • Enfin, les sceptiques se targuent d'être des libres-penseurs. Contrairement au reste de la population américaine, ils ne tombent pas dans "l'hystérie collective". Leur modèle? Galilée, qui en défendant opiniâtrement le fait que la Terre tourne autour du Soleil, a démontré que l'on peut être seul contre tous et avoir raison. C'est vrai, mais c'est faire bien peu de cas du fait que la science avance d'une manière générale par consensus...
Photo : http://unitedcats.files.wordpress.com/2007/05/global_warming-_proof.jpg

vendredi 27 juillet 2007

From coal to Coke: the improbable path


"If we don't solve the coal problem, we cannot solve the climate problem" said Princeton physicist Robert Williams to Science in a recent interview.

Climate's biggest challenge

As China keeps putting two new coal-fired power plants online each week and the 600 coal facilities of America are responsible alone of roughly 30% of the 7 billions metric tons of CO2 emitted each year (more than the emissions of all the cars and other industries of the country combined), coal looks indeed more and more like one of the biggest challenge of the climate issue.

The trouble with coal is that no one really wants to get rid of an energy source which is four to five times more abundant than oil, cheap and for once ideally distributed among developed countries (1) instead of being found in improbable locations plagued with chronic political instability.

But as the idea of a near-term cap on carbon dioxide emissions gains support in America, the industry of the by-far-dirtiest-of-all-fossil-fuel (2) is submitted to more and more intense scrutiny. This sudden awareness has prompted a rising interest in the currently only known solution to the coal-fired plants emissions problem: the carbon capture.

Carbon capture: a simple concept plagued with technical challenges

In theory, carbon dioxide capture is pretty simple: one grabs the CO2 emitted by the coal combustion before it gets vented into the atmosphere. But the concept is actually tricky. Current off-the-shelf technologies need at best to be submitted to a thorough improvement if the plant is still supposed to be profitable.

The technique that would be the easiest to implement on most existing plants consists in using a molecule called monoethanolamine (MEA) to bind the CO2 right after the coal combustion and thus to separate it from the other gases emitted by the plant. But in order to capture 96% of the plant's CO2 emissions, 40% of the energy previously sold to the public would have to be used... which would raise the electricity bills by 36% or more! With improved efficiency, the technique should still not permit the capture of 90% of the CO2 emissions without cutting the net output of the plant by 30%.

From coal to Coke

And even if the technical problems got solved, a daunting question still remains: what are we going to do with all this CO2? The coal-fired plant of Warrior Run in Maryland found an interesting answer to this question: the 5% of its CO2 emissions that actually get captured are sold to beverages gas distributors and then incorporated in your Coke. Too bad that no one seems to have realized that unless the Coke bottle is never open, the CO2 that has been so painfully trapped is going anyway to take a short cut to the atmosphere...

(1) Coal known reserves are found in the United States (25.4%), the ex-URSS (23.4%), Europe (12.4%), China (11.6%) and India (8.6%).

(2) For the same amount of energy produced, coal emits 25% more CO2 than oil and 40 to 50% more CO2 than natural gas.

Sources:
Making Dirty Coal Plants Cleaner, Science, 13 July 2007, pp. 184-186
Le Plein s'il vous plait! by Jean Marc Jancovici and Alain Grandjean

Photo:
itsgettinghotinhere.org/tag/uncategorized/

lundi 23 juillet 2007

Floride : paroles, paroles...

Décidément, rien ne va plus au parti Républicain. Voilà maintenant que le gouverneur du quatrième Etat le plus peuplé du pays s'affiche comme un défenseur de la cause climatique !

Charlie Crist, gouverneur de l'Etat de Floride, vient en effet d'annoncer qu'il comptait mettre en place un plan ambitieux de réduction des émissions de gaz à effet de serre de la péninsule. L'objectif affiché est de diminuer les émissions de 25% par rapport au niveau de 1990 d'ici 2025 et de les réduire à 1/5ème de leur niveau de 1990 d'ici 2050.

Pour atteindre ces objectifs, le gouverneur semble envisager le recours à la fameuse recette-miracle de la chasse au gaspillage (qui demande encore à faire ses preuves). Il veut ainsi promouvoir une meilleure efficience énergétique des usines, des bâtiments et des véhicules de Floride et a insisté sur la place (plus) importante qu'il compte accorder aux énergies renouvelables comme le solaire.

Un Etat particulièrement vulnérable

Il est vrai qu'à priori, la Floride a beaucoup à perdre en cas de réchauffement climatique majeur : avec une altitude moyenne de 30 mètres et plus de 2000 kilomètres de côtes, l'Etat est particulièrement vulnérable à la montée du niveau des eaux. Les 2/3 de ses précieuses plages, qui sont aujourd'hui sa principale source de revenue, pourraient d'ailleurs avoir disparu en 2100, entraînant avec elles la perte de richesses naturelles comme les Everglades ou les récifs coraliens (qu'adviendra-t'il de Disneyworld?). Selon l'étude réalisée par l'Union of Concerned Scientists, certaines zones de l'Etat seront également susceptibles de connaître de longues périodes de sécheresse, tandis que l'intensité des tempêtes tropicales pourrait augmenter. Selon le New York Times, il y a d'ores et déjà en Floride beaucoup de propriétaires qui peinent à trouver une compagnie disposée à les assurer...

Les ambitions du gouverneur Crist s'inscrivent dans la nouvelle mouvance républicaine

L'action du gouverneur Crist vise clairement à lancer son Etat et lui-même sur les traces de politiciens d'affiliation républicaine dont la prise de position en faveur de l'environnement a été très médiatisée ces derniers temps, comme le gouverneur de Californie Arnold Schwarzenegger ou le maire de New York City Michael Bloomberg. Mais ses déclarations ambitieuses seront-elles vraiment suivies dans la pratique par une véritable réduction des émissions?

De la théorie à la pratique : le grand fossé

Selon le New York Times, celà reste à vérifier. Pour commencer, il semble improbable que la Floride mette réellement en place des standards de consommation énergétique des véhicules, car elle n'y est pas autorisée sous la réglementation fédérale actuelle (et même si elle l'était, elle serait selon toute probabilité bloquée par la bataille légale qui continue à faire rage entre les Etats et l'Environmental Proctection Agency).

D'autre part, le manque d'enthousiasme de la population vis à vis de ces mesures rend leur pérennité douteuse. Les actions promues par le gouverneur d'un Etat peuvent en effet très bien être annulées par son successeur. Dans un système démocratique, seul un vrai support populaire peut assurer le maintien d'engagements politiques, surtout si ceux-ci sont censés s'étaler sur les quatre prochaines décennies.

Un tel support faisant pour l'instant défaut en Floride, il y a fort à parier que les engagements du gouverneur Crist ne seront guère plus que des mots. Il reste à espérer que lesdits mots inciteront les instances fédérales à se pencher enfin sérieusement sur le problème climatique. Pour que l'Etat du Soleil ne devienne pas la Venise de l'Amérique.

Photo : http://blog.bmykey.com/immobilier/

vendredi 13 juillet 2007

The new climate awareness of America

They are unanimous : during the last 18 months, the United States have been experiencing a rising interest in the global warming issue. From coast to coast, all the people I have so far been talking to have perceived the unprecedented "climate revolution".

A new awareness that finally buries the scientific debate

Recent polls confirm this rise of awareness. According to the Pew Research Center, 38% of the Americans now rank the global warming issue as a top priority, a number 14% higher than in 2002. Although the problem is still not seen as an emergency by the majority of the American population, it seems at least that the long-lived scientific debate is finally over : in January 2007, 77% of the Americans thought that climate change was indeed real, an increase of 7% since June 2006.

The impact of a hurricane...

But what did trigger this change of public opinion? It seems that causes are numerous. According to Annie Strickler, communication director of ICLEI USA, an association that helps local governments implement measures to reduce their emissions, the recent climate awareness started with the hurricane Katrina. However, local climatic events (drought, lack of snow) and the recent Democrat majority in Congress also made a deep impression on people.

... and a movie

For many Americans, Al Gore's famous documentary An Inconvenient Truth also plaid an important role in the public opinion reversal. "With his movie, Al Gore managed to turn the public's attention to a very complex issue", says Dr. Stephen Nodvin. Thus, the climate change problem became a matter of interest for other people than the traditional intellectual elite who had been familiar with the subject for years. And as a proof of its success, Al Gore recently demonstrated again the power of the entertaining formula by organizing the Live Earth concerts series.

Nevertheless, according to Anthony Leiserowitz, director of the Yale project on climate change, who was recently interviewed by the National Public Radio during its Climate Connections series, Gore's impact on public opinion is probably overestimated. In his opinion, people who actually watched and liked the movie were often Democrats, traditionally more aware of environmental issues. Katrina's impact was probably more determining.

A new scandal story full of economic opportunities

Finally, according to the science journalist Chris Mooney, who had a thorough look into the question, public attention was also caught by the impressive rise of media interest displayed since Katrina's disaster. Mooney indicates that not only did the coverage of the issue increase dramatically, but the subject has also been entirely reframed.

While global warming was for a long time only discussed on the so-called scientific debate point of view, it suddenly became scandalous subject. As journalists were telling the stories of the various scandals related to the Iraq war, they unfortunately discovered the intimidation methods and the scientific information distortion that were used by the Bush administration. All this clumsiness made the uncertainty thesis more difficult to sell and journalists started writing about personal stories and big economic opportunities.

A long-lasting impact?

In a world where information ought to follow an ever faster pace, can such an interest last? For Anthony Leiserowitz, this is not certain. It is then even more necessary to use this opportunity window to implement courageous national policies.

Version française : Le grand réveil de la conscience américaine

Caricature 1: http://www.brutallyhonest.org/brutally_honest/images/2007/03/15/051206winterblunderx.gif
Caricature 2: Dan Perjovschi, What Happened to US?, MOMA exhibition

jeudi 12 juillet 2007

Le grand réveil de la conscience américaine


Ils sont unanimes : depuis environ 18 mois, les Etats-Unis connaissent un fantastique renversement d'opinions sur la question du changement climatique. De la côte est à la côte ouest, la "révolution climatique" a été perçue par toutes les personnes avec qui je me suis entretenu jusqu'à présent.

Une prise de conscience qui enterre (enfin!) le supposé débat scientifique

Les sondages effectués ces derniers mois confirment cette tendance. D'après le Pew Research Center, 38% des Américains considèrent aujourd'hui le changement climatique comme une priorité absolue, soit 14% de plus qu'en 2002. Si le problème n'est pas encore considéré comme une urgence par la majorité de la population, le débat scientifique sur le sujet est bel et bien enterré : en janvier 2007, 77% des Américains pensaient que le réchauffement climatique était réel, soit presque 10% de plus qu'en juin 2006.

L'impact d'un ouragan...

Les causes de ce changement d'opinions? Elles semblent être multiples. Pour Annie Strickler, directrice de la communication d'ICLEI USA, une association qui aide les gouvernements locaux à mettre en place des mesures de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre, la prise de conscience climatique a débuté avec l'ouragan Katrina qui a si durement frappé la Nouvelle Orléans en 2005. La catastrophe n'est toutefois pas la seule cause de la nouvelle sensiblité américaine : les évènements climatiques locaux (manque de neige, sécheresse), ainsi que la nouvelle majorité Démocrate jouent également un rôle dans la prise de conscience collective.

... et d'un documentaire

Pour beaucoup d'Américains, le film-sensation d'Al Gore a également une part de responsabilité. Comme le fait remarquer le Dr. Stephen Nodvin, "Gore est parvenu grâce à son film à attirer l'attention d'un public de plus en plus difficile à intéresser." An Inconvenient Truth aurait ainsi permis de sortir la question climatique des cercles intellectuels où elle était traditionnellement confinée pour en faire une préoccupation de M. Tout le Monde. Prouvant qu'il a fait sienne la maxime selon laquelle l'on ne change pas une formule qui gagne, Gore vient d'ailleurs de renouveller sa recette du divertissement grand public avec la soirée de concerts mondiaux Live Earth du 7 juillet (bien que je constate que "le monde" concerné se concentre quand même un peu toujours sur les mêmes : sur 8 concerts, 4 ont eu lieu dans des villes anglophones...)

Selon Anthony Leiserowitz, directeur du projet sur le changement climatique de la (très) prestigieuse université de Yale et interviewé récemment par la National Public Radio dans le cadre de sa série Climate Connections, l'impact de l'action de Gore est toutefois surestimé. Selon lui, les gens qui ont aimé (et qui sont allés voir) son film sont des Démocrates, traditionnellement déjà sensibilisés à la question. Pour lui, l'impact de Katrina sur l'imaginaire collectif est nettement plus important.

Un sujet à scandales qui regorge d'opportunités économiques

Enfin, selon le journaliste scientifique Chris Mooney, qui s'est longuement penché sur la question, l'attention du public a aussi été attirée par une forte hausse de l'intérêt des médias pour le phénomène, en bonne partie suite à l'ouragan Katrina. Mooney cite non seulement une augmentation considérable de la couverture médiatique sur le sujet depuis quelques mois (ce que n'importe quelle personne consultant régulièrement des journaux américains pourra confirmer sans difficulté), mais également un changement substantiel de l'angle sous lequel il est traité.

Le changement climatique, longtemps uniquement abordé sous l'angle du supposé débat scientifique, est en effet devenu un sujet à scandales. Alors que les journalistes déterraient un à un les divers mensonges de l'administration Bush dans le cadre de la guerre en Irak, ils ont également (bien mal à propos) mis le doigt sur les tentatives d'intimidation des scientifiques et de dissimulation des faits pratiquées par le gouvernement... Face à toutes ces maladresses, la grande thèse de l'incertitude face au changement climatique a perdu quelque peu de son éclat. Les médias ont donc préféré s'emparer des petites histoires et des grandes opportunités économiques dont le sujet regorge.

Un intérêt passager ?

Dans un monde où l'information est instantanée, un tel engouement peut-il toutefois durer? Selon Anthony Leiserowitz, rien n'est moins sûr. Il est donc plus que temps de profiter de cette période de grâce pour mettre en place des politiques nationales courageuses...

English Version: The new climate awareness of America

Photo 1 : http://images.businessweek.com/ss/07/03/0329_pupilpower_timeline/source/8.htm
Photo 2: http://images.businessweek.com/mz/04/33/0433covdc.gif

mardi 10 juillet 2007

Biocarburants : le miracle du biodiesel?

La grande séduction des biocarburants

Ils sont à la mode et le public y croit (1) : grâce à eux, les grands problèmes américains de dépendance énergétique et de changement climatique vont enfin trouver un début de solution. En cette période de grande réflexion nationale sur les alternatives possibles au pétrole, l'avenir s'annonce rose pour les biocarburants.

Les premiers à s'en féliciter sont bien évidemment les producteurs de maïs américains. Selon l'American Coalition for Ethanol, ils ont fourni en 2006 la presque totalité des 5 milliards de gallons (3) d'éthanol (2) produits nationalement, une quantité qui a permis d'assurer la vente d'un mélange essence-éthanol dans 46% des stations services américaines.

Biodiesel : côté clair...

Mais malgré sa suprématie incontestable, l'éthanol n'est pas la seule forme de biocarburants qui bénéficie actuellement d'une conjoncture extrêmement favorable. D'après la National Biodiesel Board, les biodiesels (biocarburants faits à partir d'huile végétale) ont également le vent en poupe : leur production n'atteignait certes qu'un modeste 250 millions de gallons l'année dernière, mais elle a tout de même été multipliée par 10 entre 2004 et 2006 sous l'effet d'une subvention fédérale de 1$ pour tout gallon de biodiesel mélangé au diesel américain!

Si j'en crois un article publié début juin dans la prestigieuse revue scientifique Proceedings of the National Academy of Sciences, la générosité de cette subvention _ le double de celle obtenue pour la production d'un gallon d'éthanol _ est plutôt bien pensée, car les biodiesels présentent des avantages comparatifs élevés par rapport à l'éthanol. Alors que l'éthanol offre par exemple un gain d'énergie de 25% par rapport à celle investie initialement dans sa production, le gain énergétique des biodiesels est de 93%. Par ailleurs, les cultures utilisées pour la production de biodiesels (aux Etats-Unis, il s'agit en général de soja) nécessitent le relâchage d'une quantité nettement inférieure de pesticides et d'engrais dans l'environnement.

... et côté obscur

Les biodiesels seraient-ils donc l'alternative idéale au pétrole? Pas vraiment. Pour commencer, ils ne sont pas plus que l'éthanol capables de remplacer les carburants fossiles. Qu'on en juge : si l'ensemble du maïs et du soja américains étaient utilisés uniquement pour produire des biocarburants (ce qui implique malheureusement que tous les Américains deviennent végétariens, hypothèse plutôt improbable), ils ne fourniraient que 12% des besoins actuels en essence et que 6% des besoins en diesel. Sachant que lesdits besoins augmentent chaque année, on comprendra facilement que l'on est plutôt loin du compte...

Un récent article du Christian Science Monitor met par ailleurs en lumière une conséquence imprévue de la généreuse subvention accordée par le gouvernement fédéral. L'histoire commence à l'automne 2006, avec un commerçant lambda spécialisé dans le négoce des biocarburants. Parfaitement à l'aise avec les cours mondiaux de ces produits, il décide d'importer de Malaisie une cargaison de 9 millions de gallons de biodiesel, produits à partir de l'huile de palme (elle même produite au détriment des dernières forêts tropicales de la région). La cargaison est envoyée à Houston, Texas, où après avoir été mélangée à 9 000 gallons de pétrodiesel, elle devient éligible pour la subvention fédérale. Le commerçant empoche donc 9 millions de dollars pour son opération. Mais le gain peut encore être augmenté avec un peu d'astuce : au lieu de vendre le mélange obtenu sur le marché américain, notre commerçant (pas si bête, décidément) choisit de profiter des prix plus élevés offerts par le marché européen et envoie l'ensemble de sa cargaison à Rotterdam. Et voilà comment une cargaison de biodiesel tropical se retrouve dispersée dans les stations-services européennes, grâce à l'argent du contribuable américain...

Entre pressions agricoles et environnementales

D'après le Christian Science Monitor, cette pratique reste encore marginale, mais risque de faire beaucoup d'émules si rien n'est fait pour y remédier. Ce n'est pas le lobby agricole qui y poussera, car il bénéficie grâce à ce système d'un intéressant avantage compétitif sur le marché international. Il reste donc à souhaiter que le pouvoir législatif saura réaliser à temps que la généralisation d'une telle pratique annule passablement le bénéfice environnemental de cette alternative, qui si elle n'est pas miraculeuse, n'en reste pas moins intéressante.

(1) Selon un sondage réalisé en janvier 2007 par l'United Press International, la majorité des Américains pensent que les biocarburants sont les remplaçants les plus probables des carburants fossiles.
(2) Ethanol : biocarburant produit à partir de sucre ou d'amidon.
(3) C'est peu pratique, mais il faut faire avec : les Américains ne fonctionnent toujours pas avec le système métrique. Je m'excuse donc de vous annoncer qu'un gallon représente 3,785 litres (moins quelques décimales)...

Sources :
J. Hill et al. Environmental, economic and energetic costs and benefits of biodiesel and ethanol biofuels. Proceedings of the National Academy of Sciences, June 2, 2007.
Photo : http://www.dervaesinstitute.org/presskit/pressphotos/biodiesel.jpg

mardi 3 juillet 2007

Consommation énergétique d'un 4x4 américain : enfin des chiffres!

Ce week-end, Nicolas et moi sommes allés au festival de jazz à Montréal.

Bus ou voiture?

Nous avons longuement réfléchi au cours des dernières semaines à la façon dont nous allions parcourir les 500 kms qui nous sépare du Québec. Après avoir comparé le coût d'un trajet en bus Greyhound (146$ par personne et 7 heures de trajet) et les tarifs proposés par les différentes agences de location de voiture (140$ pour 3 jours), nous avons opté, par égard pour notre portefeuille, pour la location.

A notre arrivée dans les locaux de l'agence, nous avons appris que la voiture que nous avions réservée, un modèle compact, la Chevrolet Aveo, n'était plus disponible. Cela ne devait toutefois pas nous inquiéter, nous a expliqué un employé : on allait nous offrir à la place un "petit 4x4". A son expression enthousiaste, nous avons compris qu'il s'agissait là d'un beau cadeau, qui méritait certainement une prime pour le service à la clientèle. Mais son sourire s'est figé quand il a constaté notre manque d'enthousiasme. Il a tenté tant bien que mal de répondre à nos questions soupçonneuses concernant la consommation d'essence du modèle en question, nous a expliqué que la voiture était "bien plus amusante à conduire" et en désespoir de cause, a fini par nous signifier que de toute façon, c'était ça ou rien.

Voilà donc comment nous nous sommes retrouvés avec "ça", une Ford Escape qui n'avait rien de petit, surtout pas sa consommation de carburant.


Nous avons en effet consommé 122 litres d'essence, pour 1000 kms parcourus quasiment uniquement sur autoroute, ce qui représente une consommation moyenne de 12 litres aux 100 kms et équivaut, après vérification sur le calculateur à carbone d'ICLEI, à l'émission de 150 kg par personne de CO2 dans l'atmosphère (soit un peu moins d'1/3 des émissions annuelles d'un Chinois). Le même trajet effectué dans une petite voiture européenne aurait divisé par deux notre facture d'essence et nos émissions de CO2.

Les sombres lendemains du 4x4

Comme 98% des 4x4, notre voiture n'a pas quitté l'asphalte. Et comme la majorité des conducteurs de 4x4, nous aurions très bien pu nous contenter d'une voiture compacte de type européen. Si la proposition de loi adoptée par le Sénat il y a deux semaines est validée, l'âge d'or du 4x4 risque d'ailleurs fort d'être menacé : comme le font remarquer les constructeurs automobiles, il est difficile de faire passer l'efficacité énergétique d'un véhicule de 12 litres aux 100 kms à 8 litres aux 100 kms sans en diminuer la taille. Serait-ce donc déjà la fin de "l'amusement au volant"?

Source photo : Sophie

mercredi 27 juin 2007

La grande erreur de calcul de l'Ouest américain


Photo : Lone tree and irrigated field, Ian Parker

L'autre Amérique

"La Californie? c'est quasiment un autre pays".

J'ai entendu cette phrase très souvent depuis mon arrivée à Boston. Généralement, elle est suivie d'un regard las vers la fenêtre, puis d'une longue explication sur les raisons pour lesquelles mon interlocuteur n'aime pas pelleter la neige pendant plusieurs mois chaque année (opinion qui me parait surprenante, car venant de personnes à priori susceptibles d'apprécier la rare possibilité de combiner gratuitement et utilement la séance de musculation avec le plein air).

Il faut toutefois reconnaître que question climat, la Californie et la côte ouest en général appartiennent effectivement à un autre pays. Un pays qui correspond dans l'imaginaire collectif à une plus grande douceur de vivre, associée au soleil, aux vignobles et à un certain hédonisme. Et pourtant... Si j'en crois les dernières recherches climatologiques menées sur l'Ouest américain, la douceur de vivre californienne risque fort de se transformer en cauchemar.

Le talon d'Achille de l'Ouest américain

Le problème de la Californie, comme celui de tout l'Ouest américain, c'est l'eau. Dans toute cette région, 90% des précipitations sont en effet reçues en hiver, essentiellement sous forme de neige, qui s'accumule sur les montagnes de la chaîne des Rocheuses. Au printemps, la fonte des neiges entraîne un brusque apport d'eau en plaine. Puis vient la longue période estivale, marquée dans tout le Sud-ouest par une forte sécheresse.

Face à ce déséquilibre peu propice, les habitants des Etats de l'Ouest ont procédé pendant toute la première moitié du 20ème siècle à une série d'aménagements fluviaux, allant du détournement des rivères à la construction d'aqueducs ou de grands barrages, de façon à s'assurer un accès à l'eau pendant la période estivale. Ces aménagements, parfois pharaoniques, comme le gigantesque lac Powell, qui retient l'eau du Colorado, ont permis aux Etats du Pacifique et des montagnes Rocheuses d'absorber plus de 60 millions de personnes depuis les années 30, soit 1/5ème de la population américaine. Encore aujourd'hui, leur croissance démographique est la plus élevée du pays.

La fin de la période bénie?

Malheureusement, ce développement semble avoir reposé sur une imprévisible erreur de calcul. Selon les scientifiques, le 20ème siècle a en effet été dans cette région la 3ème ou 4ème période la plus humide des dernières 4000 années. Ceci revient à dire que le climat habituel du Sud-ouest est en moyenne beaucoup plus sec que celui dont ont profité les habitants de la région pendant les cent dernières années. Et il semble que celà commence à se sentir.

Depuis 1999, le Sud-ouest américain est confronté à une sécheresse ininterrompue, qui a vidé le lac Powell aux deux-tiers, amené plus de 400 000 hectares de forêts à partir en fumée en 2002 et réveillé les vieilles querelles pour l'accès à l'eau entre agriculteurs et citadins. Un évènement isolé? Pas si sûr.

Les derniers modèles climatologiques (qui ne prennent pas en compte la possibilité de sécheresse à long terme comme celle que l'Ouest traverse actuellement) prévoient en effet une augmentation moyenne de la température de la région de 2 à 8°C au cours du 21ème siècle. Dans l'hypothèse basse, il est estimé que les réserves d'eau de la Californie pourraient diminuer d'1/3 d'ici 2060 et de moitié d'ici à 2090. Jusqu'ici, je n'ai pas trouvé de prédictions sur les conséquences de l'hypothèse haute...

De telles perspectives sont évidemment dramatiques pour la Californie. Elles expliquent sans doute le niveau d'engagement de l'Etat dans la lutte contre le réchauffement climatique. Mais son action, encore isolée et qui débute à peine, suffira-t'elle vraiment à freiner la croissance continue des émissions de gaz à effet de serre rejetée dans l'atmosphère?


Source : Thin Ice, Unlocking the secrets of Climate in the World's Highest Mountains, de Mark Bowen.

Photo : http://parkerlab.bio.uci.edu/nonscientific_adventures/escalante_utah.htm