mercredi 23 juin 2010

La vengeance secrète du mammouth

Même éteints depuis des milliers d'années, les mammouths n'en finissent pas de déchaîner les passions. Dans le monde fascinant de ces grands mammifères, tout est en effet sujet à débat : pourquoi les représentants du genre ont-ils disparu ? Peut-on cloner leurs restes ? Et dernièrement, quelle est la part de responsabilité de ces espèces dans le petit âge glaciaire qui a frappé l'hémisphère nord il y a 12 000 ans ?

La question a été soulevée fin mai par Smith et al. dans un article scientifique paru dans la revue Nature geoscience. Il y a un peu plus de 13 000 ans, le continent américain abritait un bestiaire qui aurait sans nul doute ravi l'auteur d'Alice aux pays des merveilles. On y trouvait des castors de la taille d'un fauteuil, des tigres à dents de sabre, des tortues pesant aussi lourd qu'une voiture, des chameaux toisant plus de 2 mètres à l'épaule et des mammouths. Mille ans plus tard, ces espèces avaient disparu, emportées par une extinction de masse spectaculaire. On observe en parallèle de cet épisode d'extinction massive une baisse marquée des concentrations de méthane (un gaz à effet de serre très puissant) dans l'atmosphère et une forte chute des températures correspondant à l'épisode glaciaire dit du Dryas récent. Smith et al. envisage qu'une partie de cette baisse (entre 13% et 100%, ce qui fait quand même une belle échelle de variation) pourrait être expliquée par l'extinction des grands ruminants américains comme le mammouth, qui émettaient jusque là du méthane.

Le sujet est plus glissant qu'on ne le pense. Car à supposer que la disparition des mammouths américains puisse en partie expliquer l'avancée des glaces il y a 12 000 ans, la question de la cause de cette disparition reste ouverte. Dans leur article, Smith et al. reprennent à leur compte la théorie d'une chasse excessive de l'espèce par les premiers Amérindiens, qui seraient arrivés il y environ 12 000 ans sur le continent américain. Vu d'Europe, il est difficile de mesurer à quel point cette théorie déclenche les passions en Amérique du nord. Les Amérindiens vivent en effet particulièrement mal une hypothèse qu'ils estiment avoir été créée de toutes pièces pour dédouaner les Blancs de la gestion plus que discutable des ressources naturelles sur le sol américain depuis 1492. Même sans rentrer dans ce débat, Smith et al. semblent mal renseignés sur les dernières avancées scientifiques en ce qui concerne l'Amérique précolombienne. En effet, il semble de plus en plus probable que l'arrivée des premiers Amérindiens remonte à bien plus de 13 000 ans. Certains archéologues avancent des chiffres allant jusqu'à plus de 30 000 ans. Certes, ces avancées ne permettent pas de répondre au pourquoi de la disparition du mammouth américain. Néanmoins, elles rendent nettement moins plausible l'image d'une horde sanguinaire d'Amérindiens fraîchement arrivés se jetant sur le moindre mammouth jusqu'à faire disparaître l'espèce.

Il est possible que la disparition des mammouths ait eu des conséquences inattendues sur le climat. Il est également possible que la chasse pratiquée par les Amérindiens ait entraîné une diminution des effectifs de l'espèce. De là à dire que les humains d'il y a 12 000 ans sont responsables, même en partie, d'un âge glaciaire, il y a un pas. Suffisamment important pour ne pas être franchi dans l'état actuel des connaissances.

Dans un souci d'objectivité, je me vois contrainte de vous faire également part ici de l'hypothèse émise dans l'âge de glace 2 de Blue Sky Studios : le dernier mammouth américain femelle aurait eu un conflit d'identité. Mais que font les psychologues pour éléphantidés ????


Image : Age de glace 2

lundi 21 juin 2010

Du tabac au climat, ou les dessous d'une histoire sale

Ne nous y trompons pas : en théorie, nous avons de la chance de vivre dans une époque éclairée. Cela n'a en effet pas toujours été le cas. Durant le vingtième siècle par exemple, les choses étaient bien différentes d'aujourd'hui. Pour commencer, les gens étaient des drogués. J'en veux pour preuve l'explosion de la consommation de cigarettes qui a marqué la première moitié du siècle, les ventes passant de 80 cigarettes par habitant et par an aux États-Unis en 1910 à 10 cigarettes par jour et par habitant en 1950 — ce qui représente tout de même plus de 4000 cigarettes par an pour chaque fumeur. En 1951, il est estimé que 3 à 5% du budget des consommateurs américains est consacré au tabac. Ne nous étonnons pas dans ces conditions des réactions négatives qui accompagnent à l'époque chaque hausse du prix des cigarettes, vécue comme un racket.

Étrange corrélation
Malgré le capital sympathie dont jouit le tabac entre 1900 et 1950, certains aspects de sa consommation ne manquent pas d'inquiéter quelques esprits chagrins. Outre la dépendance que semble créer le produit, la hausse de la mortalité due au cancer du poumon intrigue fortement les scientifiques. Il faut reconnaître que cette dernière est spectaculaire ; en 1919, la maladie est encore une rareté avec une prévalence de 0,6 cas pour 100 000 décès, le genre de chose que l'on ne voit qu'une fois dans une carrière de médecin. Dans les années 50, elle est devenue le cancer le plus commun après le cancer de l'estomac, avec une prévalence de 31 cas sur 100 000 décès. Les études publiées dans les revues scientifiques, de plus en plus nombreuses, incitent en 1954 le ministre américain de la santé à déclarer "qu'il faut maintenant considérer comme établi le lien entre le fait de fumer et le cancer du poumon".

Une propagande qui s'appuie d'abord sur la publicité mensongère...
Ces propos ne sont pas du goût de l'industrie du tabac, dont les bénéfices sont d'ores et déjà colossaux (ils seront estimés à 8 milliards de dollars pour le seul territoire américain en 1964). Très vite, cette dernière s'organise pour répondre à des attaques qui menacent de dégénérer en législation contraignante. Dès 1954, elle débute sa lutte par des campagnes publicitaires niant le lien entre tabac et cancer. Elle débauche également des dizaines de scientifiques, qui mettent en doute ce lien dans des pamphlets distribués chez les médecins et dans la presse nationale. La hausse de la prévalence du cancer du poumon étant difficile à contester, l'industrie s'attache à insinuer subtilement que cette évolution pourrait être due à d'autres facteurs que la cigarette, comme la pollution de l'air. Elle tente également de convaincre le consommateur de l'innocuité du produit en promouvant les cigarettes à filtre — tout en augmentant la dose de nicotine dans ces dernières.

Le nuage de fumée que soulève la controverse orchestrée par l'industrie du tabac se révèle payant. Ce n'est qu'en 1962 que le gouvernement américain décide de créer un comité d'experts scientifiques chargé d'évaluer les impacts du tabac sur la santé. En 1964, le couperet tombe : le comité indique qu'il existe bel et bien un lien entre le cancer du poumon et la cigarette. En dépit des objections de l'industrie du tabac, qui fait remarquer que la cigarette assure un revenu à de nombreux citoyens américains, le législateur finit par voter le Federal Cigarette Labeling and Advertising Act, qui oblige l'industrie à partir de 1966 à préciser sur les paquets que le produit est potentiellement nocif.

... puis sur les messages simplistes qui sèment le doute
L'industrie du tabac ne se laisse pas abattre par ce coup dur, qui est suivi en 1971 par l'interdiction de la publicité sur les cigarettes à la télévision et la radio. Elle commence par s'assurer du silence — qui va durer 10 ans — de l'Association Médicale Américaine (AMA) par un don de 10 millions de dollars. Elle entame ensuite une vaste campagne de propagande en finançant en sous-main le livre d'un scientifique, au titre évocateur : "Fumer n'est pas dangereux". Sa stratégie, qu'elle décrit en détail dans des notes internes, consiste à semer le doute sur l'impact réel du tabac sur la santé en brodant de manière imaginative sur le thème "nous n'avons pas assez de preuves". Dans la guerre qu'elle mène contre les mouvements anti-tabac, tous les coups sont permis. Elle invoquera ainsi successivement un biais des études scientifiques, lié au fait que les fumeurs ont plus de probabilité d'être soumis à des tests de cancer du poumon et donc d'être diagnostiqués (1974) et un vaste complot contre la liberté individuelle (1978).

Les fumeurs passifs : l'iceberg du Titanic
Avec une grande clairvoyance, l'industrie du tabac identifie dès les années 70 la question des fumeurs passifs comme la principale menace qui pèse sur son activité. Que le lien entre fumeur passif et cancer soit reconnu, et c'est tout un nouveau pan de législation qui va accabler la société américaine. Pendant plusieurs années, l'industrie va utiliser le poids de son budget publicité dans les journaux américains pour s'assurer de l'absence d'articles trop explicitement anti-tabac. Malgré ses efforts, le lien entre fumeur passif et cancer sera néanmoins établi formellement en 1986 dans le rapport annuel du comité d'experts scientifiques qui officie depuis 1962. C'est le début de la fin.

Dans les années 90, de nombreux journaux décident ainsi de refuser les financements publicitaires de l'industrie. Au cours des années qui suivent, les procès contre les entreprises du tabac et les interdictions de fumer dans les lieux publics se mettent à pleuvoir. Après 5 décennies de lutte acharnée, l'industrie du tabac voit ses ventes s'effriter dans les pays développés ; en 2006, seuls 24% des hommes et 18% des femmes étaient des fumeurs aux États-Unis, contre plus de 50% des hommes et 35% des femmes en 1965.

The show must go on
Faut-il déduire de cette baise de consommation que tout va mal pour les lobbyistes de l'industrie du tabac ? Ce serait sans doute un peu prématuré. Le marché des pays en développement reste en effet ouvert. De plus, pour ceux qui souhaiteraient se concentrer sur les pays développés, il est possible de recycler sur d'autres sujets les enseignements précieux retirés de 50 ans de propagande contre un consensus scientifique. Le glissement est déjà réalisé depuis quelques années ; ne nous étonnons donc pas de trouver des liens troublants entre certains discours concernant la question climatique et la stratégie passée de l'industrie du tabac. Cette dernière a fait ses preuves !

Pour les esprits soupçonneux de notre temps, qui souhaiteraient ne pas voir les industries s'enrichir aux dépens des intérêts à long terme des citoyens, la vigilance impose de s'intéresser en détail aux sources de financements des scientifiques qui se déclarent "dissidents" et de considérer avec le plus grand scepticisme les théories du complot relayées par la presse et internet. Ce n'est qu'à ce prix que nous pourrons réellement dormir sur nos deux oreilles.

Source : l'essentiel des informations citées ici provient du site très bien documenté Tobacco.org

English version: From tobacco to climate, the reuse of a winning method

Images :
The man who thinks for himself knows... publicité pour les cigarettes Viceroy
AMA says have a cigarette, publicité pour les cigarettes Lucky Strike

mercredi 9 juin 2010

Workaholics in your company? Keep your cubicles!

In Europe as in America, open workspace has become increasingly trendy lately. This cannot be attributed to a real eagerness of the workforce, who often finds the concept difficult to handle and complains about its noisiness and its lack of privacy. The main argument, especially in cities with expensive real estate, is usually the cost: in Paris for instance, an open workspace can lead to alleged savings of 10% to 40% on renting expenditure. Not something to be easily disregarded in those tough times!

Yet, before moving from cubicles to open workspace, managers may be well inspired to take a closer look at their energy expenses, especially if the company hosts one or several workaholics.

This is what was discovered by the consultants of the French Environment and Energy Management Agency (ADEME) when they realized the first energy assessment of a brandnew building in Paris, built with the specific aim of minimizing its energy intake. At first, the consultants could barely believe what they saw: instead of the expected model "green" building, they were actually leafing through enormous energy bills! In order to understand what was happening in this place, the building was examined from roof to floor, but no previously undetected energy leak was found. On the other hand, when consulants started to scrutinize the company habits and workforce, they discovered that one of the manager had very peculiar working hours. He was indeed working at night. And unfortunately, the open workspace meant that the presence of one single person was enough to keep the heating and cooling system working outside normal working hours... and hence ruining the energy savings made the rest of the time!

This story is based on a small part of the speech given during a conference (Smart Grid et Smart Homes : évolution ou révolution) held by the Profesionnal Group Centrale-Energies on May 20, 2010.

dimanche 6 juin 2010

Contribution du grand dégel à la Chaîne Energie de l'Expansion

J'ai récemment eu le plaisir de publier un article sur la Chaîne Énergie de l'Expansion. Je souhaite en conséquence la bienvenue aux nouveaux lecteurs qui ont rebondi de la Chaîne Energie sur Le grand dégel.

Le grand dégel est un blog bilingue qui s'intéresse aux nombreuses questions soulevées par le changement climatique, notamment en Europe et en Amérique du nord. Les commentaires y sont appréciés, donc n'hésitez pas à faire part de vos impressions !