lundi 31 août 2009

En la technologie toujours tu croiras


2028. Enzo ne sort plus sans ses lunettes de soleil. Il est vrai que tout le monde s'accorde à dire qu'elles lui donnent un charme supplémentaire. Il est également vrai qu'elles lui sont devenues indispensables : avec ses yeux clairs, il a de plus en plus de mal à supporter la réflectance des rues. Depuis que la chaussée et les derniers immeubles haussmanniens ont été intégralement repeints en blanc (loi du 5 janvier 2025), Paris a en effet pris un côté franchement éblouissant, très "21ème siècle".

Ces derniers temps, la ville lumière a également gagné en moiteur. Suite aux relargages réguliers de particules de souffre réfléchissantes dans l'atmosphère, la fréquence des pluies a augmenté. Pour Enzo, c'est un inconvénient mineur ; après tout, il suffit de s'équiper d'un parapluie. De plus, cela permet d'avoir un minimum d'ombre quand le soleil paraît, ce qui est appréciable maintenant que la plupart des arbres des bords de rue ont été remplacés par des "arbres artificiels", qui servent à la capture du CO2 atmosphérique...

Une discipline qui a le vent en poupe
Science-fiction que tout cela? Il ne s'agit pourtant que de quelques unes des solutions (un brin extrapolées) proposées par la géo-ingénierie, une discipline inventive qui propose de mettre en place des modifications de l'environnement à grande échelle pour contrebalancer les effets du changement climatique.

A l'origine de ce foisonnement d'idées se trouve la conviction d'un certain nombre de scientifiques que la question climatique est tellement urgente que toutes les solutions visant à stabiliser le climat pendant quelques décennies (le temps que soit effectuée la transition vers une économie peu émettrice en gaz à effet de serre) doivent être mises en oeuvre. Pour ce faire, la géo-ingénierie propose d'influer sur deux paramètres du système climatique terrestre : la quantité d'énergie solaire reçue par la Terre et la quantité de CO2 présente dans l'atmosphère. Outre leur coût et les difficulté probables de mise en application, ces solutions présentent toutes un gros inconvénient : il est très difficile d'évaluer quel sera réellement leur impact.

Un remède miracle?
Ainsi, une équipe de l'université de Bristol au Royaume-Uni proposait il y a quelques mois dans le journal Current Biology de favoriser la culture de variétés qui réfléchissent plus la lumière solaire que les variétés actuelles de céréales ou de soja. Ceci permettrait de diminuer la température moyenne estivale de plus d'1°C en Europe et en Amérique du nord. Sur une moyenne annuelle et à l'échelle planétaire, l'effet rafraichissant de cette technique serait marginal (-0,1°C). Toutefois, utilisée en conjonction avec d'autres techniques, elle pourrait faire gagner quelques années à l'humanité. Outre son coût relativement minime, cette solution présenterait l'avantage appréciable de pouvoir être utilisée sur des plantes destinées à un usage alimentaire, ce qui un impliquerait un impact beaucoup plus réduit sur la sécurité alimentaire que les agrocarburants.

Sur le papier, l'idée est séduisante. Elle suscite toutefois plusieurs questions. La première est de savoir si le fait d'augmenter l'albédo des plantes (soit le niveau de réflection de la lumière solaire) ne risque pas d'impacter également le rendement des plantes cultivées. En effet, la photosynthèse (c'est à dire le processus qui permet de transformer de l'énergie lumineuse et du CO2 en matière organique) est par définition dépendante de la quantité d'énergie lumineuse absorbée. Pour la même raison, qui dit moins de photosynthèse dit moins de CO2 capturé par la végétation... De plus, rien ne garantit que pour une espèce cultivée donnée, la variabilité génétique sur ce critère soit suffisante pour obtenir un effet significatif. Si ce n'est pas le cas, la technique nécessiterait l'intervention des biotechnologies pour introduire des gènes de plus grande réflectance dans les plantes cultivées.

Comme les autres propositions qui fleurissent depuis quelques années dans les publications scientifiques, l'idée de l'équipe de l'université de Bristol a le mérite de proposer une solution concrète à un problème de plus en plus pressant. Toutefois, elle ne lève pas la question de fond de la géo-ingénierie : est-il vraiment souhaitable de jouer à l'apprenti sorcier à l'échelle planétaire?

Image : hommage à l'architecte du Sacré Coeur, un visionnaire qui sut mettre la basilique face aux défis du futur en choisissant la bonne couleur. Photo par Marie Metge.

vendredi 26 juin 2009

La grande migration agricole

Dans mon travail, je brasse beaucoup de chiffres. Trop pour m'arrêter plusieurs jours sur chacun d'entre eux.

Bizarrerie scandinave
Il y a un mois, j'ai cependant été interpellée par le fait que pour la deuxième année consécutive, une production de maïs était répertoriée en Suède. Si cette information n'avait pas été de source officielle, j'aurais cru à une erreur ; le maïs est en effet une plante tropicale. Certes, le développement de variétés septentrionales permet de la cultiver dans l'hémisphère nord. Cependant, elle reste peu adaptée au climat suédois.

Les choses en seraient sans doute restées là si je n'étais pas tombée la semaine suivante sur un article décrivant la formidable progression de la culture du maïs au Danemark : alors que la surface consacrée au maïs atteignait péniblement 20 000 ha au début des années 1990, elle avait presque été multipliée par dix en 2008. Parallèlement, la date optimale de semis s'était décalée du 1er mai au 20 avril. Pour un agronome, une telle information revient à allumer un voyant rouge : 10 jours de décalage d'une date de semis, c'est énorme!

A la conquête du nord
Très intriguée, j'ai donc commencé à regarder les données concernant la surface de maïs de façon détaillée. Voici ce que j'ai trouvé :
Graphique : les données sont issues des offices statistiques des différents pays décrits.

Dans l'extrême nord de l'Europe (Danemark, Pologne, mais aussi Suède et états baltes), la surface de maïs a cru très fortement entre 1995 et 2008. C'est aussi le cas en Allemagne, où la surface a augmenté de 500 000 ha depuis 1995 (ce qui représente proportionnellement une hausse moins importante, car la surface allemande était déjà élevée en 1995). En revanche, la surface de maïs a tendance à rester stable, voire à décroître, dans le sud de l'Europe (Italie, France, Slovaquie, mais aussi Espagne ou Hongrie).

Face à une évolution aussi constante et aussi contrastée entre le nord et le sud d'un continent régi par la même politique agricole, j'ai commencé à soupçonner que ce que j'observais était le résultat d'un changement rapide de climat. J'ai donc appelé l'un des grands spécialistes français de la physiologie des céréales.

Ma remarque ne l'a pas du tout surpris. En fait, elle correspondait à ce qu'il observait depuis des années : une remontée des espèces vers le nord au fur et à mesure que la fenêtre de culture des plantes s'élargissait - la fenêtre de culture correspond à la période qui sépare la date de semis de la date de récolte. Pour une plante comme le maïs, la fenêtre de culture est longue (au moins 5 mois). Dans un pays où les étés sont frais et les hivers précoces, la plante ne pourra donc pas achever son développement avant les premiers froids, ce qui limite singulièrement l'intérêt de la cultiver.

Quid du sud?
Ceci laisse une grande question : qu'en est-il dans le sud de l'Europe? Dans les pays méditerranéens (Italie, Grèce notamment), la surface laissée en jachère a en effet tendance à s'accroître. En Italie, cette hausse de la jachère concerne le sud du pays, où la culture du blé dur ou de l'orge a tendance à être abandonnée.

Mon interlocuteur a marqué un silence. "C'est une vraie question, m'a-t'il finalement dit. Les conditions climatiques qui sont envisagées pour le sud de l'Europe vont probablement dépasser les capacités d'adaptation d'une espèce comme le blé. La solution passe plutôt par de nouveaux assolements, basés sur des espèces plus résistantes à la sécheresse. Qui sait? En 2030, les Italiens cultiveront peut-être du sorgho ou du millet..."

Si c'est le cas, on peut s'interroger sur ce que cultiveront les Maliens ou les Mauritaniens...

English version: heading north, the great crop migration

Image 1 : champ de blé dur en Toscane
Image 2 : champ de sorgho aux Etats-Unis

jeudi 26 mars 2009

Climat, météo, kesako?

Neige marseillaise. La publication de ce dessin a été gentiment autorisée par son auteur, MOIX.

Amis lecteurs, je pense ne rien vous apprendre : Marseille et ses environs jouissent d'un climat méditerranéen. Outre la présence de touristes, ceci signifie en pratique que les étés marseillais sont généralement chauds, alors que les automnes et les hivers sont doux. L'essentiel des précipitations est observé en automne et en hiver.

A l'opposé et malgré une latitude proche, Montréal est soumise à un climat continental. Ceci signifie que les hivers sont (très) froids et les étés chauds. La ville est arrosée toute l'année.

Maintenant, tenez vous bien : le 7 janvier 2009, il a neigé à Marseille (et probablement aussi à Montréal, mais personne n'a jugé utile d'en faire la une des journaux). Malgré tout l'intérêt de cet évènement, vous conviendrez avec moi qu'il ne remet pas fondamentalement en cause l'information précédente : Marseille est et reste une ville méditerranéenne. Le fait qu'il ait neigé dans les deux villes ne signifie en aucun cas que le climat de Montréal est en train de devenir celui de Marseille. Pour que ce soit le cas (que les Marseillais se rassurent, ça se saurait), il faudrait qu'il neige régulièrement de nombreux hivers de suite à Marseille, que la moyenne des températures enregistrées à Marignane diminue de plusieurs degrés aussi bien en hiver qu'en été et que les chênes verts cèdent la place aux érables. Comme toutes ces modifications ne se feraient pas en une nuit ni même en une décennie, nous n'aurions la certitude d'un changement de climat que bien des années après qu'il ait débuté.

De la différence entre un évènement isolé et une moyenne

Il s'en suit qu'il est incorrect de relier un évènement climatique isolé, quel qu'il soit, à un climat donné et a fortiori à un changement de climat. Ce n'est pas parce qu'il fait froid à Marseille en janvier 2009 qu'un refroidissement climatique guette la ville. Ce n'est pas non plus parce que la Nouvelle Orléans finit dévastée après le passage d'un cyclone que cela prouve qu'il y a réchauffement du climat. Par contre, c'est parce que l'on observe depuis des décennies une hausse de la température moyenne planétaire (plus marquée aux pôles qu'à l'équateur) que l'on a la certitude qu'il y a un changement climatique en cours. Dans ce genre de contexte, les évènements comme Katrina deviennent plus probables. Et les chutes de neige à Marseille moins fréquentes, même si elles peuvent encore avoir lieu. La preuve.

English version: Meteorology and climatology: two different worlds

dimanche 15 mars 2009

La soif guette Las Vegas

Alors, ils vinrent avec des bulldozers et créèrent une oasis au milieu du désert...

Las Vegas a longtemps vécu au dessus de ses moyens. Longtemps, elle a puisé sans compter dans le Colorado voisin afin d'alimenter des piscines, des golfs et des pelouses toujours plus nombreux. Longtemps, elle a imaginé des casinos, des golfs et des hôtels délirants. Longtemps enfin, sa croissance démographique galopante a fait pâlir de jalousie des états moins bien lotis.

... mais un jour, le désert rattrapa l'oasis

Mais aujourd'hui, la pécheresse semble avoir une soudaine gueule de bois. Alors que la ville continue d'accueillir 8000 nouveaux habitants par mois, l'eau, elle, ne suit plus le rythme. Selon l'Institut d'Océanographie Scripps, il y a même 50% de chances que le lac Mead, le réservoir gigantesque sur le Colorado qui fournit 90% de l'eau de la ville, soit asséché d'ici 2021.

L'heure est donc grave et les autorités du Nevada cherchent par tous les moyens une solution de secours pour le principal centre économique de l'état. Elles envisagent de construire un aqueduc qui irait pomper l'eau disponible dans un aquifère situé à 500 km de la ville. Toutefois, le coût du projet (au moins 3,5 milliards de dollars) et son impact sur la zone de prélèvement génèrent une vaste polémique.

En attendant, la chasse au gaspillage d'eau est ouverte à Las Vegas. Le Southern Nevada Water Authority offre 15$ par mètre carré de pelouse transformée en "jardin désertique". Les golfs font disparaître une partie de leurs pelouses vert émeraude au profit de paysages rocailleux plus adaptés aux 114 mm de précipitations moyennes annuelles de la région (en comparaison, Dubaï reçoit en moyenne 150 mm par an). Le prix du gallon d'eau augmente et des amendes sont distribuées aux citoyens qui ne respectent pas les consignes de restriction hydriques. Malgré ces efforts, la route reste encore longue : selon les chiffres publiées par le Las Vegas Sun, la consommation d'eau annuelle par personne atteignait 218 000 litres en 2008, soit plus de 3 fois la consommation moyenne d'un Français selon l'IFEN. Et la majorité de cette eau servait encore... à arroser des pelouses.

mercredi 18 février 2009

Erik, ce grand farceur

L'argument ultime des sceptiques

Ces dernières années, la cote de popularité du Groenland progresse au moins aussi vite que la concentration de gaz à effet de serre dans l'atmosphère. L'île suscite bien sûr un intérêt marqué chez les scientifiques et dans les milieux d'affaire. Mais elle est également de plus en plus citée - et cela peut paraître plutôt paradoxal - par les sceptiques climatiques. C'est qu'elle offre un argument massue pour parer à tout embryon de discussion sur le changement climatique : son nom.

Voici l'idée générale : le Groenland a été baptisé aux alentours de l'an mil, lors de la dernière période de réchauffement connue de l'Atlantique nord, appelée la "période chaude médiévale". Son nom signifie "terre verte" en langue scandinave, ce qui évoque plus l'Irlande que la banquise... Or, si le Groenland ressemblait à l'Irlande il y a mille ans, alors on peut déduire sans risque que l'île est actuellement plus froide qu'au Moyen-Age ; il n'y a donc pas matière à discuter pendant des heures d'un hypothétique réchauffement du climat.

La logique du raisonnement semble imparable... mais fait peu de cas de la réalité historique et de la personnalité du grand "découvreur" de l'île, Erik le rouge.

Un tempérament violent, mais inventif...

Même selon les standards de son époque, Erik le rouge n'est pas un individu très recommandable. Né en Norvège vers 950, il est impliqué dans un meurtre aux alentours de son 25ème anniversaire. Ceci lui vaut une condamnation à l'exil en Islande, alors colonie norvégienne. Mais son séjour dans ce pays sera également marqué par un bain de sang. Confronté à plusieurs conflits de voisinage, Erik n'est en effet pas très porté sur la médiation. Après un différend particulièrement violent qui se solde par de nombreux morts aux alentours de 982, Erik est banni d'Islande pour une période présumée de 3 ans.

Cette condamnation place Erik dans une situation extrêmement délicate ; interdit de séjour en Norvège et en Islande, il se trouve sans possibilité de repli. Toutefois, Erik n'est pas homme à s'en laisser conter. Il se souvient des déclarations de Gunnbjörn, un Viking qui prétendait avoir découvert une terre plus à l'ouest un siècle auparavant, et risque le tout pour le tout ; affrétant un bateau, il part à la recherche de cette terre de l'ouest. Sa tentative est couronnée de succès : son navire débarque finalement au Groenland, qu'il explorera durant la durée de son exil avant de décider d'y fonder une colonie.

... chez l'un des premiers grands publicitaires de l'Histoire?

Il est plus que probable qu'en trois années sur place, Erik a l'occasion de se rendre compte que les arguments en faveur de l'installation d'une colonie basée sur l'élevage et le commerce en Arctique sont plutôt minces. Le Groenland est douloureusement éloigné de la Norvège, coupé du monde par la glace pendant la majorité de l'année. Les hivers y sont terribles ; les terres ne sont pâturables que trois mois dans l'année et le bois est rare. Pour couronner le tout, le fer est très difficile à obtenir. Mais il en faut plus pour décourager un homme comme Erik. Tout à son objectif (qui prend d'autant plus d'importance que son retour en Islande se passe plutôt mal), il choisit d'appeler son eldorado arctique "terre verte". Ainsi qu'en témoignent certaines chroniques nordiques, il espère en effet "que ceux qui le suivront seront plus nombreux si la terre a un beau nom". Son pari sera payant et marque le début d'une colonie qui durera plus de 400 ans... et d'un mythe qui lui survivra bien davantage.

Sources :
Collapse de Jared Diamond
Heimskringla (textes des sagas scandinaves, en particulier Islendigabok)

Images:
Kayak au Groenland, photo de National Geographic
ruine viking au Groenland

lundi 2 février 2009

Inquiétude en Californie

Selon un article paru sur Reuters le 30 janvier, la Californie semble s'acheminer vers une troisième année de sécheresse, ce qui risque d'avoir un impact dévastateur sur des pans entiers de l'économie de l'état.

Alors que les mois de décembre et janvier sont en moyenne les plus humides en Californie, la Sierra, qui fournit 2/3 de l'eau californienne, n'a pour l'instant reçu qu'1/3 des précipitations neigeuses attendues. Il est peu probable que ce déficit puisse être comblé au cours des prochains mois, car nous nous acheminons cette année encore vers un système climatique La Niña, ce qui implique des précipitations inférieures à la normale dans le nord de la Californie, où sont enregistrées la majorité des précipitations.

Des épisodes de sécheresse de 3 ans ou plus ont été rares en Californie au cours du 20ème siècle. On n'en compte que deux : l'un dans les années 30 et l'autre entre 1987 et 1992.