lundi 22 février 2010

La phrase de... Svante Arrhenius

"Il est incroyable qu'un sujet aussi insignifiant ait pu me coûter une année entière de travail".

Quelques années plus tard, c'est ainsi que le scientifique suédois reviendra sur les innombrables équations qu'il a consacré au CO2 entre 1894 et 1895. Tout commence le 24 décembre 1894, lorsque Svante décide de noyer le désespoir dans lequel l'a plongé le départ de sa jeune et jolie femme par un calcul long et fastidieux : quel serait l'impact potentiel d'une modification de la concentration des gaz à effet de serre de l'atmosphère ? Ses cogitations mathématiques, qui rempliront des pages et des pages, l'amèneront à la conclusion qu'une baisse de 30% à 50% de la concentration de CO2 dans l'atmosphère se traduirait par une diminution de la température du globe de 4°C à 5°C. Inversement, une hausse de 50% de la concentration de CO2 se solderait par une augmentation de la température moyenne de 5°C à 6°C.

Ce travail, remarquablement proche des estimations actuelles, n'intéresse rigoureusement personne. Malgré cette déconvenue, Svante ne se laisse pas abattre ; quelques années plus tard, en 1903, il gagne ainsi le prix Nobel de chimie pour son travail sur la conductivité électrique des solutions salines.... et retrouve rapidement la félicité conjugale dans les bras d'une nouvelle femme.

dimanche 21 février 2010

Heading north: the great crop migration

My job is full of numbers. Yields, areas, quotes, temperatures... all take a big chunk of my working day. Most of these figures are predictable. Yet every once in a while, something really unexpected comes into focus.

Scandinavian oddity
This is exactly what happened a few months ago, when I entered for the second year in a row a corn production in Sweden. That piece of information puzzled me. In fact, had it not come from an official source, I would have believed it to be a mistake. Even if corn is grown on a very large scale in countries such as the US, it remains a tropical plant, not well adapted to the coolness of Swedish summers.

Though strange, the few thousand tons of corn produced in Sweden were not revolutionary enough to keep me awake at night. I would probably have forgotten the issue if I had not stumbled across an odd article barely a week later; it described the truly impressive growth of corn acreage in Denmark. As was highlighted in the paper, corn area totalled a mere 20,000 ha at the beginning of the nineties. In 2008, it had risen by almost ten folds. At the same time, the optimal sowing date for the crop had moved backward, from May 1 to April 20. Ten days in twenty years may seem anecdotal, but for an agronomist, this equals to a flashing red light: something is going on there!

Heading north
Quite excited, I decided to have a serious look at the corn data I have for Europe. Here is what I found:

Source: various national statistics offices. The data include both corn for silage and for grain.

In the northern fringe of Europe (namely Denmark and Poland, but also Sweden or the Baltic states), corn acreage has increased very sharply between 1995 and 2009. This also holds true in Germany, where the area allocated to the crop has gained 500,000 ha since 1995. However, as the German area was already quite high in 1995, this implies a smaller change in proportion than in other countries. On the other hand, corn area has stabilized or even decreased in countries of southern Europe (Italy, France, Slovakia, but also Spain or Hungary).

Without too much head scratching, I could thus easily see two things: first, that there seemed to be consistent changes in corn acreage happening both in the north and in the south of Europe. Secondly that situations in the south and in the north seemed to be opposite. As both the north and the south of the European Union are submitted to the same agricultural policy (the CAP), I was left with a growing suspicion that these contrasted changes may well be linked to climate. At this point, I decided to call one of the most prominent specialist of cereal physiology in France and get his point of view on the matter.

My story did not seem to surprise him much; in fact, it corresponded to what he had been monitoring for years. Agricultural species are moving north, as farmers take advantage of a wider growing window - the gap between sowing and harvesting dates. For a plant such as corn, the growing window is long (at least five months). In countries like Sweden, where summers are cool and winters come early, the long growth cycle of corn had until recently prevented any major development of the crop because the plant would not be able to perform its entire growth cycle before the frosts. Yet, as this drawback becomes less important, farmers in northern countries have started introducing the crop onto their farms...

Southern worries

Image: Tuscany

This explanation left me with one serious question: what would happen in southern Europe? If the growing window tended to increase in the north, one would expect that crop development in the south might be more frequently hampered by less auspicious weather events, such as droughts or hot spells. According to my own observations, this already seemed to be the case in several European countries located along the Mediterranean rim, where the area left fallow showed a tendancy towards increasing.

After I had expressed my concerns, there was a deep silence at the other end of the phone line. "This is a real issue, I was finally told. It is very likely at this point that future weather conditions in the south will exceed the adaptive capabilities of a species like wheat. Farmers will probably have to turn to more drought-resistant species. Who knows? In 2030 or 2040, farmers in Italy may well choose to grow sorghum or millet instead of durum wheat..."

If this turns out to be the case, then it is really worth wondering what farmers of more southerly countries, such as Mali or Niger, will be left to cultivate. Millet and sorghum both constitute staple food in Africa today. If these crops move north, answering this particular question might indeed become one of the most important issue of the coming years. If not of the century.

Version française : la grande migration agricole

jeudi 11 février 2010

Pendant ce temps, au Groenland...

Cet hiver, une bonne partie de l'Europe et de l'Amérique du nord est littéralement ensevelie sous la neige. En Allemagne, en Scandinavie, en Roumanie, le grand jeu du moment consiste à annoncer d'un ton triomphal l'arrivée d'une énième tempête de neige, à grand renfort de descriptions détaillées sur les nombreux centimètres déjà visibles au sol.

Si j'en crois l'office de météo danois, les habitants du Groenland auront du mal à gagner la palme de l'âge de glace cette année. Dans le sud de l'île (Qaqortoq très précisément), la température moyenne en janvier a atteint +0,1°C - la normale saisonnière est à -5,5°C. Quant à la neige, elle manquait cruellement. Il semblerait en effet qu'il y ait eu une inversion de températures entre le nord de l'Europe et de l'Amérique du nord et l'Arctique... Rassurez-vous, ceci ne devrait a priori pas empêcher janvier 2010 d'être l'un des plus chauds enregistrés jusqu'à présent au niveau mondial. Comme quoi, météo et climat ne font décidément pas bon ménage !

Photo de Tobias Petersen, prise le 14 janvier 2010 à Narsarmijit
(extrême pointe sud du Groenland)

dimanche 7 février 2010

... n'y a t'il vraiment plus d'espoir ? (2)

Pour ceux qui n'auraient pas suivi
Dans Noir c'est noir... nous avons vu que les émissions moyennes d'un Français étaient 4 fois supérieures à ce qu'elles devraient être selon le rapport 2007 du GIEC. Face à ce constat, ... n'y a t'il vraiment plus d'espoir ? (1) nous a donné des solutions pour réduire nos émissions individuelles de 25% à travers des actions sur les postes transport et logement. Mais des économies sont également possibles sur d'autres postes! Suivons le guide*...

* dans un souci de clarté et pour faciliter les comparaisons, les calculs décrits ci-dessous ont tous été effectués via le bilan carbone personnel de l'ADEME.

Alimentation (19%)

4. Ce n'est pas politiquement correct, mais ça n'en correspond pas moins à une réalité : la consommation quotidienne de protéines animales a un impact significatif sur la santé et sur l'environnement. Entendons nous bien : je ne prône pas le régime végétarien. Mais entre le régime végétarien et le régime actuel d'un Européen ou d'un Américain (1,6 kg de viande par semaine en Europe et 2,4 kg de viande par semaine aux Etats-Unis selon la FAO), il y a tout de même une marge de manœuvre! Le régime carné actuel d'un Français implique l'émission de 300 kg eq. C par an. Si ce même Français suivait les recommandations du Fonds Mondial de Recherche contre le Cancer, qui incite à limiter sa consommation de viande de boucherie (bœuf, agneau, porc) à 500 g de viande cuite par semaine — soit presque deux fois moins que la moyenne actuelle — et gardait par ailleurs une consommation moyenne de volaille et de poisson (environ 1 kg par semaine au total), ses émissions se réduiraient à 200 kg eq. C par an.

5. Ça n'a l'air de rien, mais boire l'eau du robinet plutôt que de l'eau en bouteille fait économiser 66 kg eq. C par an.

6. Il est évidemment beaucoup plus facile de contrôler son alimentation en cuisinant soi-même. Les plats préparés sont donc à éviter.

7. Les mangues, les tomates et les fraises sur les étalages au mois de janvier sont très tentantes. Malheureusement, leur consommation est responsable de 22 kg eq. C émis en moyenne par Français. En ne consommant que des produits de saison locaux (ce qui augmente grandement la diversité de l'alimentation au jour le jour et le plaisir des repas), les émissions liées à la consommation de fruits et légumes peuvent être réduites de 75%.

8. Malgré leur côté pratique, les hypermarchés et supermarchés de périphérie ne sont pas la panacée pour qui souhaite réduire ses émissions. Il semblerait en effet que faire ses courses dans ce type de commerce entraîne l'émission d'environ deux fois plus de gaz à effet de serre que le fait de les faire dans les commerces de proximité : les urbanistes vous diront que c'est logique, dans la mesure où il est difficile de se passer de sa voiture quand on va dans un hypermarché. Favoriser le commerce de proximité peut également avoir un avantage caché : le choix étant moins large, le consommateur achète peut-être moins, ce qui pourrait aider à réduire le pourcentage de nourriture jetée chaque année — qui atteint actuellement le chiffre scandaleux de 30 à 40% dans les pays développés.

Bilan : en limitant sa consommation de viande de boucherie à 500 g par semaine et par personne, en ne buvant que l'eau du robinet et en n'achetant que des fruits et des légumes de saison, on peut potentiellement réduire ses émissions de 200 kg/an. Sur un total d'environ 500 kg/an en moyenne, ce n'est quand même pas négligeable!

Consommation de biens manufacturés (20%)
Sur la base de ses dépenses moyennes en biens manufacturés (ordinateurs, téléphone, vêtements et chaussures, produits de beauté, ect...), un Français émet environ 600 kg d'eq. C par an. Il n'est pas évident de dire quel est le potentiel de réduction sur ce poste. Toutefois, deux règles de base peuvent contribuer à une baisse significative des émissions :

9. Limiter l'exposition à la publicité , notamment pour les enfants et les adolescents. Ceci implique un usage restreint du principal vecteur de publicité dans les foyers : la télévision.

9. Préférer l'achat de produits de qualité à l'achat de produits peu chers, mais de qualité médiocre. D'une part, ceci permet de garder les produits achetés plus longtemps. D'autre part, ceci revient souvent à encourager une production locale plutôt qu'une production importée. En particulier, il est intéressant d'éviter autant que possible l'achat de produits chinois, car si la Chine n'est pas responsable du changement climatique observé jusqu'à présent, elle n'en est pas moins aujourd'hui le plus gros émetteur de gaz à effet de serre. De plus, l'efficacité énergétique de ses usines laisse encore énormément à désirer par rapport aux pays développés, comme l'illustre le graphe ci-dessous.

Bilan : l'application de ces dix mesures permet de réduire environ par deux le niveau d'émissions individuelles d'un Français. Elles représentent donc un pas important dans la direction recommandée par le GIEC. Ces astuces impliquent un changement significatif des habitudes de consommation individuelles. Toutefois, significatif ne veut pas dire insurmontable. La plupart de ces mesures sont en effet applicables au quotidien sans difficulté majeure - la restriction de l'usage de la voiture est à mon sens l'exception qui confirme la règle. Quel que soit le niveau de difficulté de ces mesures pour chacun, leur énumération permet de prendre conscience du décalage existant entre les efforts réellement nécessaires pour limiter l'impact du réchauffement climatique et l'image que se fait la société de l'effort à fournir ; malheureusement, il ne suffit pas de mettre des ampoules basse-consommation chez soi, d'acheter des avocats bio du Pérou et de trier ses déchets pour compenser le mode de vie occidental. Le problème est autrement plus vaste.

Image : Barcelone, vue par Marie Metge

lundi 1 février 2010

... n'y a-t'il vraiment plus d'espoir? (1)

Pour ceux qui n'auraient pas suivi
Dans Noir, c'est noir... nous avons vu que :
1) le sommet de Copenhague n'a pas été à la hauteur des attentes
2) Le citoyen français émet en moyenne quatre fois plus de gaz à effet de serre que ce qui est recommandé dans le rapport 2007 du GIEC (ce calcul est réalisé sur la base d'une répartition équitable des émissions entre tous les habitants de la planète)
3) au niveau individuel, ces émissions sont essentiellement liées à nos modes de transport, nos logements, notre alimentation et nos achats de biens manufacturés... soit la presque totalité de nos activités.



Avant de foncer acheter la corde pour vous pendre, il vous reste toutefois possible d'envisager une alternative : la sobriété énergétique. Démonstration en dix points*.

* dans un souci de clarté et pour faciliter les comparaisons, j'ai choisi d'effectuer tous les calculs décrits ci-dessus via le bilan carbone personnel de l'ADEME.

Transport (26% des émissions)
1. Tous les modes de transports ne sont pas équivalents. C'est particulièrement vrai en France, où l'électricité provient en majorité du nucléaire. Sur l'échelle de la vertu énergétique, le train gagne ainsi haut la main la palme d'or : pour chaque kilomètre parcouru, un passager ne rejette qu'entre 5% et 17% des émissions d'une voiture et seulement 3% des émissions d'un avion court-courrier. En plus, pour une personne seule, le train est nettement plus avantageux économiquement (-20% en plein tarif sur un trajet Paris-Lyon).

2. Quand les trajets en voiture sont nécessaires, la priorité devrait logiquement aller aux petites voitures récentes, qui consomment moins (selon le classement de l'ADEME, les véhicules vendus en 2008 consommaient en moyenne 140 g de CO2 au km contre 149 g en 2007). Le covoiturage est également une solution intéressante. Pour les utilisateurs occasionnels, la solution idéale consiste évidemment à éliminer la voiture. Dans ce cas, la location en fonction des besoins réels peut être très avantageuse.

Bilan : pour une distance annuelle parcourue de 15 000 km, un Français émettra 950 kg d'équivalent carbone en effectuant les trajets seul dans une voiture consommant 6 L/100 km. En admettant que seuls 5% de cette distance soit effectuée en voiture et le reste en train, la même personne n'émettra plus que 85 kg d'équivalent carbone par an... soit une réduction de plus de 90% de ses émissions.
Ne pas oublier cependant que l'aller-retour Paris/New York en avion équivaut à 720 kg d'équivalent carbone émis par passager... et n'est donc pas vraiment compatible avec une réduction des émissions individuelles.

Logement (19%)
3. Le chauffage représente à lui seul le tiers des émissions d'un logement — un second tiers provenant des appareils électroménagers. Sur ce poste, des réductions substantielles sont possibles en baissant le thermostat : une diminution de 1°C en hiver permet par exemple d'économiser jusqu'à 10% sur sa facture de chauffage. Une baisse de quelques °C peut même faire économiser jusqu'à 40% sur une facture... tout en limitant les risques d'allergies.

Bilan : pour une surface de 40 m2 (la superficie moyenne par personne en 2009 selon l'INSEE), un appartement chauffé à l'électricité à une température de 21°C émet 280 kg d'équivalent C. Le même appartement chauffé à 18°C n'émet plus que 200 kg d'équivalent carbone... soit une réduction de 25% des émissions. Par ailleurs, le même appartement alimenté avec du gaz naturel ou du fuel et chauffé à 21°C émettrait entre 560 kg (gaz) et 800 kg (fuel) d'équivalent C.

Gardons courage! A ce stade, nous avons déjà réduit nos émissions de 55% sur les deux postes transports et logement, ce qui représente une réduction de 25% de nos émissions totales ! Pour poursuivre l'exercice, rendez-vous dans ... n'y a t'il vraiment plus d'espoir? (2)

Image : RUE89, dans les coulisses du Grenelle de l'environnement