mardi 28 décembre 2010

Devenez vert, adoptez un volcan


Puisque l'heure est au bilan de l'année 2010, je propose une courte période de silence pour célébrer la leçon offerte par le volcan islandais Eyjafjallajökull. Un volcan vaut parfois mieux que toutes les conférences internationales ; certes, ses émissions de CO2 ont été importantes - elles ont été estimées entre 150 à 300 000 tonnes par jour durant la période de son éruption -, mais les émissions des avions qui n'ont pas pu décoller l'auraient été encore plus , puisqu'elles auraient excédé ce niveau d'au moins 40 000 tonnes par jour. Je me demande si l'Islande va pouvoir vendre des crédits carbone rétroactifs ?

mercredi 22 décembre 2010

Polluer plus pour gagner plus : le scandale du HFC-23

La semaine dernière, l'ONU a attribué 2 millions de crédits carbone à une société chinoise appelée Juhua.

A ma connaissance, la nouvelle n'a pas fait la une des médias. Ce n'est sans doute pas surprenant, car il s'agit à première vue d'un évènement banal dans le cadre du Mécanisme de Développement Propre (MDP pour les intimes) du Protocole de Kyoto. Le MDP vise à permettre à des entreprises de pays développés de financer des projets de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans des pays en développement. En contrepartie de ce financement, les entreprises du nord reçoivent des crédits carbone, qui leur permettent de faire face à une partie des objectifs de réduction qui leur ont été fixés dans le cadre du Protocole de Kyoto.

Quand ce système a été mis en place, il a suscité quelques réserves. Même pour un esprit non rompu aux subtilités du monde de la finance, le risque de dérives fâcheuses était en effet clair. C'est pourquoi les législateurs de Kyoto ont décidé la création d'une entité chargée de valider systématiquement les projets qui peuvent donner lieu à une transaction de crédits carbone. Il a ainsi été stipulé que les projets retenus devaient apporter une vraie valeur ajoutée, c'est à dire qu'ils n'auraient pas eu lieu sans le financement des crédits carbone et ont un impact sur le long terme.

Mais revenons-en à Juhua. Sur le papier, les crédits qui lui ont récemment été attribués correspondent tout à fait aux exigences du MDP. Il s'agit en effet de détruire le sous-produit d'un gaz utilisé dans la fabrication de certains systèmes de réfrigération, qui répond au doux nom de HFC-23. On ne rigole pas avec le HFC-23 : son potentiel de réchauffement global est estimé à 11 700. Ceci revient à dire que rejeter une tonne de ce composé dans l'atmosphère équivaut à l'émission de 11 700 tonnes de CO2. Ceci revient aussi à dire qu'il faut 11 700 crédits carbone pour compenser la destruction d'une tonne de ce produit. Un seul projet HFC-23 permet donc aux entreprises partenaires du nord de compenser beaucoup plus rapidement leurs émissions que si elles finançaient par exemple la capture du carbone d'une centrale à charbon.

C'est là que le bât blesse. Car le coût de destruction d'une tonne de HFC-23 est minime par rapport aux bénéfices liés au commerce de crédits carbone ; certains estiment qu'il est 100 fois inférieur. Ceci encourage les quelques industriels concernés à augmenter leur production de ce sous-produit pour pouvoir revendre des crédits. En 2006, ce trafic a été dénoncé par le New York Times. Depuis cette date, le malaise plane, au point que l'Union Européenne a récemment annoncé qu'elle souhaitait le retrait de la possibilité d'engranger des crédits par le biais du HFC-23. Cette demande a été fort mal reçue par la Chine, qui abrite 11 des 19 projets HFC-23 du monde. Il faut dire que la manne financière est importante pour le gouvernement du pays, qui taxe à 65% les bénéfices engrangés dans le cadre du MDP. Dans ces conditions, il ne faut sans doute pas trop s'étonner de la réaction des officiels chinois, qui ont annoncé qu'à leur grand regret, une telle décision obligeraient les usines concernées à rejeter le gaz dans l'atmosphère...

Si l'on ne peut vraiment être surpris que le gouvernement chinois se batte pour conserver une ressource annuelle estimée à 650 millions d'euros, on peut en revanche s'étonner de la décision subséquente de l'ONU d'attribuer 2 millions de crédits carbone à Juhua. Serions-nous rentrés à pas feutrés dans une nouvelle composante du bio-terrorisme?

dimanche 21 novembre 2010

Ce solaire qui pourrait entraîner la nuit

Si j'en crois différents articles parus récemment dans la presse européenne, tout n'est pas rose dans le monde de l'énergie solaire. C'est que la subvention massive des énergies renouvelables a fini par entraîner une telle explosion des poses de panneaux photovoltaïques que l'inquiétude commence à poindre : et si cette nouvelle offre électrique, par définition fluctuante en fonction des heures et des saisons, finissait par saturer le réseau électrique européen au point de provoquer des blackout ?

La question est particulièrement prégnante en Allemagne, où le directeur de l'Agence allemande pour l'énergie (la DENA) tirait récemment la sonnette d'alarme dans le Berliner Zeitung ; au rythme actuel de pose des panneaux solaires et durant une belle journée d'été, le pays pourrait se retrouver avec une offre solaire de pratiquement 30 gigawatts d'ici la fin de l'année 2011. Ceci correspond à l'intégralité de la demande du pays lors d'un weekend. Il sera alors nécessaire de stopper toutes les centrales thermiques allemandes pour éviter une surcharge du réseau - ce qui se traduira immanquablement par de gros problèmes logistiques. En 2013, l'offre solaire pourrait atteindre 50 gigawatts, ce qui dépasserait largement les capacités du réseau électrique allemand. Il est donc urgent de freiner le développement du solaire, estime la DENA, histoire de prendre le temps de s'adapter à cette nouvelle offre... sans que le réseau électrique ne se transforme en barbecue les jours d'été.

mercredi 27 octobre 2010

La Vie, cette grande farceuse

Amis lecteurs de France, vous êtes des chanceux. En cette période de grève, il vous est en effet possible de profiter pleinement du temps perdu dans les transports pour méditer. Si la réforme des retraites ou l'achat du cadeau de Noël de votre belle-mère vous semblent des sujets trop déprimants, il vous reste toujours la possibilité de vous élever à des considérations plus géologiques, de nature à confirmer que la vie sur Terre est tout sauf un long fleuve tranquille.

La photosynthèse : une arme de destruction massive
Prenons la situation il y 2,3 milliards d'années par exemple. A cette époque, notre planète est marquée par un gigantesque épisode de glaciation, d'une intensité exceptionnelle : les océans sont intégralement gelés. Autant dire que les perspectives d'avenir ne sont pas folichonnes pour les organismes vivants du moment. Il semble pourtant que ces derniers soient au moins en partie responsables de la situation. Environ 200 millions d'années auparavant, leurs lointains ancêtres, des microorganismes appelés cyanobactéries, ont en effet mis en place un procédé révolutionnaire de stockage de l'énergie : la photosynthèse. Le nouveau système est fort ingénieux. Il permet en effet de fabriquer des briques utiles pour la vie (les sucres) en utilisant des ingrédients présents en abondance, à savoir la lumière solaire et le CO2 qui s'est progressivement accumulé dans l'atmosphère du fait d'une forte activité volcanique. A terme, les conséquences de cette géniale invention se révèlent cependant difficiles à maîtriser : pour commencer, le procédé rejette de l'oxygène, ce qui fait disparaître pratiquement toutes les formes de vie de l'époque, pour qui ce gaz représente un poison. Par ailleurs - et c'est nettement plus grave pour les organismes photosynthétiques -, le pompage à grande échelle du CO2 de l'atmosphère à une époque où l'activité volcanique se ralentit se traduit par une chute durable des températures.

Le noir secret du phytoplancton
Les choses ne sont cependant pas complètement perdues. 100 millions d'années plus tard, le dégel s'amorce, probablement grâce à une plus forte activité volcanique. Quelques centaines de millions d'années vont maintenant s'écouler avant que la vie ne soit une nouvelle fois victime de son succès. Cette fois, c'est l'apparition de grands organismes unicellulaires et des premiers organismes multicellulaires (le phytoplancton) qui provoque la crise : ces derniers sont en effet forts actifs en terme de photosynthèse et capables d'incorporer le CO2 dans leur "coquille" de calcaire. A leur mort, le CO2 est entraîné au fond des océans où il sera ensuite décomposé de manière très lente. Les conséquences de ce ralentissement du cycle du carbone ne tardent pas : entre -850 et -630 millions d'années, la Terre traverse une nouvelle période de grand froid. Il faudra de nouveau attendre que les volcans aient permis de remonter suffisamment la concentration atmosphérique de CO2 pour que les choses puissent reprendre leur cours.

La Terre a des gaz
Une fois remises de toute cette glace, les plantes se lancent dans de nouvelles conquêtes, au résultat tout aussi désastreux d'un point de vue climatique. Le peuplement des terres émergées (-360 à -260 millions d'années) se traduit ainsi par une troisième baisse des températures . Par la suite, la vie aura plutôt tendance à favoriser les scénarios de réchauffement, en particulier en cas d'explosions démographiques bactériennes, qui vont entraîner le relargage de grandes quantités de méthane (un gaz à effet de serre très puissant) dans l'atmosphère. C'est probablement ce qui se produit il y a -55 millions d'années, lors de la dernière grande période d'extinction de masse des organismes vivants sur Terre... si l'on excepte l'actuelle.

Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais somme toute, ce bref retour géologique me semble plutôt réconfortant : certes, dans l'état actuel des choses, il semble indiquer que nous autres humains ne sommes pas en train d'inventer la poudre en impactant le climat terrestre. Toutefois, il permet également de toucher du doigt le fait que nous sommes au minimum plus créatifs que des bactéries. Tout le monde n'est pas capable de modifier la concentration atmosphérique de plusieurs gaz à effet de serre en même temps !

Image : la Terre vue par l'équipage d'Apollo 8 (source : NASA)

dimanche 17 octobre 2010

A Isesaki, les barbes ne sont pas vertes

Il n'y a pas de petit profit quand il s'agit de lutter contre le gaspillage d'énergie et le réchauffement climatique. C'est du moins ce que l'on pourrait déduire en apprenant la récente interdiction du port de la barbe pour les agents du service public de la ville d'Isesaki, au nord-est du Japon.

L'approche s'inscrit dans le cadre du Cool Biz, une campagne nationale appliquée chaque été depuis 2005. Celle-ci vise à réduire la consommation d'énergie liée à l'air conditionné en promouvant la hausse des thermostats et l'adoption de tenues moins formelles que le costume-cravate pour aller travailler. Si les résultats de la mesure semblent réels (1,14 millions de tonnes de CO2 auraient été économisées en 2006, soit l'équivalent des émissions de 2,5 millions de ménages japonais pendant 1 mois), on voit mal en quoi le port de la barbe pourrait se révéler de nature à augmenter fortement la consommation d'énergie estivale du Japon, d'autant plus que cette perte devrait être logiquement compensée par des besoins moindres en chauffage durant l'hiver... Selon le Guardian, les origines de cette interdiction seraient plutôt à rechercher dans le fait qu'au Japon, le port de la barbe est historiquement considéré comme un signe de pouvoir ou d'agressivité.

dimanche 26 septembre 2010

Grand Nord : la bataille du XXIème siècle ?

Le 28 juillet 2010, Radio Canada et le National Post rapportaient la découverte de l'épave du HMS Investigator, disparu il y a 155 ans en Arctique alors qu'il recherchait le trajet du mythique passage du Nord-Ouest. Amis lecteurs, je pense ne pas me tromper en supposant que la nouvelle (dont vous n'avez selon toutes probabilités pas eu connaissance) vous a laissés de marbre à l'époque. Pourtant, si l'on en croit le ministre de l'environnement canadien Jim Prentice, c'est un tort : il s'agirait en effet d'une découverte "fondamentale".

Pas étonnant, me direz-vous. Une telle épave présente certainement un grand intérêt historique pour le Canada, qui peut ainsi rendre hommage aux intrépides aventuriers qui bravèrent la banquise pour cartographier le grand nord. Sans doute. Néanmoins, je ne peux pas m'empêcher de noter qu'aux yeux des Canadiens du début du XXIème siècle, elle semble surtout présenter un intérêt politique de premier plan.


L'Arctique échauffe les esprits
C'est que depuis quelques années, le Canada s'inquiète. Le réchauffement climatique menace en effet de rebattre toutes les cartes géopolitiques de l'Arctique et le pays ne voudrait pas rater le coche. L'enjeu est énorme : gaz naturel, pétrole, diamants, minerais, poissons... c'est environ le quart des ressources naturelles mondiales qui dormirait pour l'instant sous les glaces. Avec la fonte de ces dernières, cet eldorado est en passe de devenir accessible, ce qui suscite la convoitise de tous les pays circumpolaires (États-Unis, Canada, Russie, Danemark, Norvège et Russie).

D'un océan à l'autre... et à l'autre ?
Si la souveraineté du Canada sur les îles qui bordent sa côte nord n'est pas contestée, les choses sont loin d'être aussi simples lorsque l'on commence à s'interroger sur les fonds marins. D'après la Convention des Nations Unies sur le droit de la Mer, qui a été ratifiée par le Canada, un état bénéficie d'une zone économique exclusive, qui s'étend sur 200 miles marins à partir de sa côte. L'état côtier y dispose d'un droit exclusif de pêche et de propriété des ressources minérales des fonds. Au delà de cette zone commencent les eaux internationales, dans lesquelles tout autre état peut pêcher, effectuer des recherches, naviguer comme bon lui semble et se livrer à des opérations de prospection. La règle, simple en apparence, cache cependant une exception redoutable : le plateau continental. La Convention stipule en effet que dans le cas où le plateau continental d'un pays (c'est à dire le plateau sous-marin sur lequel se prolonge un continent et qui précède les abysses) s'étendrait au delà de 200 miles marin, le pays pourrait revendiquer l'extension de sa zone économique exclusive, soit jusqu'à 350 miles marins de la côte, soit jusqu'à 100 miles d'une ligne tracée à partir d'une profondeur moyenne de 2500 mètres... On comprendra dans ses conditions l'intérêt soudain que portent les pays arctiques à la cartographie de leur plateau continental !

Dans ce domaine, la Russie possède sans conteste une longueur d'avance : elle s'intéresse en effet de très près aux chaînes de montagnes sous-marines de l'Arctique (dorsales de Lomonossov et de Mendeleïev), qu'elle revendique depuis plusieurs années comme des prolongements de son plateau continental... au grand dam des autres pays circumpolaires.

L'épineuse question du passage du Nord-Ouest
Si le débat autour des profondeurs marines est loin d'être réglé, c'est également vrai des eaux qui les recouvrent. L'ouverture annoncée du passage du Nord-Ouest représenterait en effet une aubaine pour les armateurs du monde entier, qui pourraient de ce fait effectuer le trajet Londres /Yokohama en 16 000 km au lieu de 23 000 km actuellement via le canal de Panama. La chose n'est certes pas pour demain. Mais dans un avenir plus lointain, l'ouverture du passage risque de se traduire par une forte augmentation de la menace de marées noires sur un écosystème particulièrement fragile et en pleine mutation. Outre la faune et la flore, un tel évènement frapperait durement les Inuits, dont la culture est déjà fortement menacée par l'occidentalisation et le réchauffement climatique. Dans ces conditions, le statut de ce passage (détroit international ou eaux intérieures canadiennes) n'est pas du tout anodin. Les règles internationales de navigation sont en effet beaucoup plus lâches que le droit maritime canadien. Nous ne devrions donc pas nous étonner que le gouvernement canadien juge "fondamentale" la découverte d'une épave au large de l'île de Banks, surtout si celle-ci démontre que le pays patrouille les eaux arctiques depuis 155 ans...

Pour en savoir plus : Perdre le Nord ? de Dominique Forget (2007) aux éditions Boréal Névé.

Image 1 : oui, bon, ce n'est pas vraiment l'Arctique, mais c'est quand même un bord de mer hivernal au nord de l'Amérique du nord... Photo Sophie.

Image 2 : carte de l'Arctique, montrant les frontières reconnues, les limites équidistantes et les revendications territoriales russes. Auteur : Séhmur.

dimanche 19 septembre 2010

La phrase... d'un historien

Journées du patrimoine 2010. Nous sommes aux limites de l’ancien duché de Bourgogne, massés devant la cheminée monumentale d’une salle de garde médiévale. Devant nous, le guide, coiffé de ce qui fut sans doute l’ancêtre de la casquette, joue négligemment avec une épée.

« La cheminée que vous avez devant vous est du XVII ème siècle. Elle est donc plus récente que le reste de la pièce, qui date du XIV ème siècle. La raison de cet ajout tardif ? Le froid. Au cours du XVIIème siècle, la France connaît plus de 30 hivers rigoureux, qui incitent à l’ajout massif de cheminées dans les bâtiments antérieurs. Cette cheminée est donc très typique de cette époque. Si vous voulez, on pourrait la comparer aux systèmes de climatisation qui prospèrent depuis la canicule de l’été 2003 et les étés chauds qui ont suivi : il y a 15 ans, bien peu de gens auraient songé à installer la climatisation chez eux. Depuis 2003, c’est devenu commun… »

Il n'y a pas que dans les carottes de glace et les anneaux des arbres que l'on peut voir le climat évoluer ! En Europe, le XVII ème siècle correspond en effet au premier minimum du "petit âge glaciaire" qui durera jusqu'au XIX ème siècle ou (selon les auteurs) le début du XX ème siècle. Quant au début du XXI ème siècle... gageons que les systèmes de refroidissement dans les habitations ont encore de beaux jours devant eux.

dimanche 15 août 2010

Moscou en fumée

Un témoignage en image de notre envoyée spéciale Marie à Moscou, ville drapée depuis plusieurs jours dans la fumée qui serait issue à 80-90% des feux de tourbières drainées.


D'après Wetlands International, les émissions de CO2 dues à l'oxydation de la matière organique des tourbières drainées équivaudrait à 6% des émissions mondiales de CO2. Ce chiffre n'inclut pas l'impact des feux dans ces zones. Les tourbières drainées de la partie européenne de la Russie font partie des plus émettrices au monde, juste après l'Indonésie. En Russie, les feux de tourbière actuels, qui se poursuivent en profondeur, ont peu de chance de s'arrêter avant l'hiver et l'arrivée de la neige.

mercredi 11 août 2010

Les bienfaits cachés des baleines

Avis à tous ceux qui regrettent le peu d'avancées sur la question de la fertilisation des océans : j'ai une bonne nouvelle ! Plutôt que de se lancer dans des opérations coûteuses et pas forcément bien maîtrisées de relargage de fer dans les zones anémiées du Pacifique sud pour favoriser la croissance des populations de phytoplancton, il suffit de promouvoir la protection de la baleine !

C'est du moins ce que l'on peut conclure d'un article récemment paru dans le journal scientifique Fish and Fisheries. Les auteurs de l'article, des chercheurs australiens, ont en effet analysé la teneur en fer des fèces de baleine. Il en ressort que la concentration en fer des fèces est environ 10 millions de fois plus élevée que celle de l'eau de mer en Antarctique. Chaque fois qu'une baleine crotte, elle contribue donc à fertiliser les océans. Compte tenu de l'état des stocks de baleines dans le Pacifique sud, cette contribution est à l'heure actuelle négligeable. On peut toutefois penser qu'il n'en a pas toujours été ainsi et que par le passé, les grands mammifères marins ont contribué à l'équilibre en fer des eaux qui bordent l'Antarctique. En théorie, rien n'empêche cette contribution de reprendre une place prépondérante... à condition bien sûr de se donner les moyens de protéger les espèces concernées.

dimanche 1 août 2010

From tobacco to climate, the reuse of a winning method

Looking back at the 20th century, we may pride ourselves of living in an enlightened period: after decades of struggle, science has finally managed to defeat the powerful tobacco lobby. The task has been far from easy. In fact, it almost seems like people in developed countries had to reach the murky bottoms of addiction and denial to start coming back to their sense again.

A widespread addiction...
During the first half of the 20th century, cigarette sales literally skyrocket, from 80 cigarettes per inhabitant per year in the US in 1910 to 10 cigarettes per day and per inhabitant in 1950 - which equals to more than 4,000 cigarettes per year for each smoker. In 1951, it is estimated that between 3% and 5% of the budget of an American consumer is spent on tobacco. No surprise then that at the time, each rise of tobacco price generates a strong opposition!

... that raises suspicion among scientists
Yet, even at this early stage, the spectacular infatuation with tobacco does not seem to please everybody. Some suspicious scientists and doctors think that the product might be addictive, while others blame tobacco for the rise in lung cancer rate. One must admit that this rise has been so sudden that it does indeed need to be explained. In 1919, the disease is an oddity with a prevalence of 0.6 cases for 100,000 deaths, the kind of thing the average doctor is likely to see only once in his career. In the 50s, it has become the most common type of cancer after stomach cancer, with a prevalence of 31 cases for 100,000 deaths. As the disease death rate grows, so does the number of scientific studies linking the phenomenon with tobacco use, to the point that in 1954, the American Health Minister declares that one should now consider that the link between tobacco and lung cancer is established.

The recipe of the tobacco lobby: how to gain time with advertisement campaigns...
For the tobacco industry, the only thing that is established at this stage is that without swift action, this kind of sentence is likely to degenerate into some restrictive legislation. This would no doubt be a disaster for the industry's profits, which now reach the huge level of 8 billions dollars for the USA only. To prevent this, several advertising campaigns are started in 1954, with the aim of denying the link between tobacco and lung cancer. Scientist are hired to write pamphlets that will be distributed to medical offices and published in the columns of the national press. The rise of lung cancer being difficult to deny, the industry tries to demonstrate that this might be due to other factors than tobacco, such as the rise in air pollution. The lobby also promotes the use of cigarettes with filter, declared to be less harmful... while increasing in parallel the nicotine doses in these.

All this smoke cloud gives good results: it is not before 1962 that the American government decides to create a group of scientific experts in charge of assessing the real impact of cigarette consumption on health. In 1964, the first assessment of this committee is made public and the link between tobacco and cancer is reasserted. Things then go all wrong for the tobacco industry: in spite of claims that tobacco is helping many American citizens to make a living, the Federal Cigarette and Advertising Act is finally voted. From 1966, it obliges the industry to write on cigarette package that the product might be harmful.

... big money and endless "scepticism"
This blow is followed in 1971 by the ban of cigarette advertising on TV and radio. But the tobacco lobby does not let this get it down. At first, it offers 10 million dollars to the American Medical Association (AMA), effectively silencing it for 10 years. It then gets involved in a large propaganda, mostly based on a scientist-written book with an evocative name: "Smoking is not dangerous". The lobby strategy, which is described thoroughly in internal notes, consists in casting doubt on the real danger of tobacco by claiming that there is not enough data to be sure of it and then endlessly moving the goalposts. Among numerous claims, the lobby will successively put forward that scientific studies are biased because smokers are more likely to be submitted to screening for cancer and thus diagnosed (1974) and that the anti-smoking movement is primarily a conspiracy against personal freedom (1978).

Passive smokers: the last blow
With what might retrospectively be seen as clearsightedness, the tobacco industry points out as early as the 70s that the passive smoker issue is now the biggest threat it has to deal with. If the link between passive smokers and cancer is established, a new set of restrictive laws is sure to be put into place. During several years, the industry will try to silence anti-smoking movements by ensuring that ads that are too clearly against tobacco are not published within national newspapers. This is not too difficult because tobacco advertisement is a major source of profit for newspapers at the time... Yet, in spite of all efforts, the passive smoker issue finally surfaces in the 1986 annual report of the group of experts that was put into place in 1962. This marks the beginning of decaying prospects in developed countries.

During the 90s, numerous newspapers start refusing tobacco ads. At the same time, trials and bans against smoking in public places flourish. After five decades of ruthless battle, cigarette sales in developed countries start to plummet: in 2006, only 24% of American men and 18% of women are alleged smokers, which should be compared to more than 50% of men and 35% of women in 1965.

The show must go on
Yet one should not deduce from this that prospects have become really bleak for tobacco lobbyists. First, the market of developing nations is still open and growing. Furthermore, even in developed countries, there is something to be done with the learning of 50 years of propaganda against a scientific consensus. We should maybe not wonder too much why the past tobacco strategy so strangely resembles current climate change denial. One should be silly not to reuse a winning method!

If we really want to pride ourselves of living in an enlightened time, we may be well advised to look thoroughly at the financing sources of self-declared "non-conformist" scientists and consider with scepticism any of the conspiracy theory flourishing on internet and newspapers. This is the price to pay to make sure that large industry profits are not taken more into account than citizens' own best interests.

Source: most of the information related here comes from the well-documented website Tobacco.org

Picture: More doctors smoke camels than any other cigarettes

Version française : Du tabac au climat, ou les dessous d'une histoire sale

mercredi 14 juillet 2010

S'il ne reste plus qu'un dernier choix...

La comptabilisation détaillée de "l'empreinte carbone" liées à chacune de nos activités ne fait que débuter. A terme, cela risque d'impacter nos décisions dans les domaines les plus improbables. Le choix d'une technique funéraire pourrait ainsi devenir un vrai casse-tête. Au Royaume-Uni, un pays qui joue le rôle de laboratoire européen sur la question climatique depuis quelques années, la crémation est d'ores et déjà sur la sellette : d'après Carbon Trust, une organisation aidant à accélérer la transition vers une économie neutre en émissions, elle entraînerait l'émission de 150 kg de C02, soit l'équivalent d'un aller Paris-Marseille en voiture de taille moyenne. Par ailleurs, une crémation entraînerait l'émission de quantités non négligeables de mercure, provenant essentiellement des plombages dentaires. L'alternative évidente (l'inhumation) pose également des problèmes difficiles à résoudre, dont la question délicate de l'espace disponible.

Par chance, dans ce domaine comme dans tant d'autres, certains se montrent inventifs. Une passionnée de jardinage suédoise propose par exemple de congeler les corps dans le l'azote liquide, puis de les réduire en poudre. Émissions de CO2 dues à l'opération : 50 kg. Pour les gens qui souhaitent une technique encore plus originale, il reste la solution de la dissolution dans de l'hydroxide de sodium à 180 °C (66 kg de CO2 émis). Enfin, pour ceux qui auraient la fibre entrepreneuriale, rien ne vous empêche de mettre en place votre propre technique : il existe visiblement un marché !

Photo : le cimetière de Lihme, Danemark, vu par Nicolas

vendredi 2 juillet 2010

Les océans tu fertiliseras

Ces derniers temps, la fertilisation des océans est devenue un sujet très sensible et épineux. A tel point que j'ai hésité à appeler ce post "chronique d'une idée avortée".

L'idée initiale semble pourtant de nature à faire vibrer de nombreux ingénieurs et financiers. Il s'agit de rajouter du fer dans des zones océaniques qui sont caractérisées par de faibles concentrations en ce nutriment indispensable à la photosynthèse. Par ce biais, on favorise la multiplication du phytoplancton, qui va absorber du CO2 pour croître. En mourant, une partie de ce phytoplancton rejoindra le plancher océanique, entraînant avec lui le CO2 absorbé. Selon une analyse parue en 2009, on pourrait de cette manière diminuer de quelques ppm la concentration en CO2 de l'atmosphère (-15 ppm pour une concentration supposée de 700 ppm en 2100 ou un peu plus de 30 ppm pour un scenario de 800 ppm de CO2 en 2100).

Voilà pour la théorie. Dans la pratique, l'idée soulève toutefois de nombreuses interrogations et inquiétudes. La première est l'efficacité réelle de la méthode, qui n'a jusqu'à présent été testée qu'avec des quantités modérées de fer et sur des périodes inférieures à un mois. Par ailleurs, les conséquences d'une explosion des populations de phytoplancton dans des zones normalement pauvres en biomasse sont difficiles à prévoir. Enfin, la masse de phytoplancton mort qui tombe au fond des océans sera pour la majorité reminéralisée dans le futur et le CO2 sera alors relâché dans l'atmosphère, ce qui diminue singulièrement l'intérêt de la méthode.

Les façons cavalières de certaines start-ups positionnées sur le créneau de la fertilisation océanique ont contribué à cristalliser ces inquiétudes. C'est notamment le cas de Planktos, une société californienne qui a défrayé la chronique en 2007. L'entreprise avait en effet annoncé son intention de répandre 600 tonnes de fer dans les environs des îles Galapagos. L'annonce avait provoqué un tollé, l'action ne paraissant pas légale au regard des lois américaines, qui interdisent le relargage sans permis de matériel chimique à la mer. Face à ces attaques, Planktos avait annoncé que l'opération serait effectuée sous un pavillon de complaisance, se mettant de ce fait hors d'atteinte de la juridiction américaine. La société a sombré avant de pouvoir mettre ses projets à exécution, faute de financements.

L'épisode a laissé des traces profondes dans le monde de la géo-ingénierie. Il s'est notamment soldé par une modification de la Convention de Londres de l'Organisation Maritime Internationale, qui régit le relargage de déchets dans les océans. Cette dernière spécifie maintenant que les activités de fertilisation des océans à des fins autres que la recherche ne devraient pas être autorisées. D'ailleurs, même les activités de recherche sur la question ne sont plus vues d'un très bon œil, ainsi que l'ont démontré les réactions peu positives lors du lancement en 2009 de l'expédition expérimentale d'une équipe de l'Alfred Wegener Institut de Bremerhaven en Allemagne... Ce mouvement de défiance est-il temporaire ? Seul l'avenir le dira. Dans l'immédiat, il semble en tous cas que les océans peuvent rester anémiés. Et c'est sans doute tant mieux.

mercredi 23 juin 2010

La vengeance secrète du mammouth

Même éteints depuis des milliers d'années, les mammouths n'en finissent pas de déchaîner les passions. Dans le monde fascinant de ces grands mammifères, tout est en effet sujet à débat : pourquoi les représentants du genre ont-ils disparu ? Peut-on cloner leurs restes ? Et dernièrement, quelle est la part de responsabilité de ces espèces dans le petit âge glaciaire qui a frappé l'hémisphère nord il y a 12 000 ans ?

La question a été soulevée fin mai par Smith et al. dans un article scientifique paru dans la revue Nature geoscience. Il y a un peu plus de 13 000 ans, le continent américain abritait un bestiaire qui aurait sans nul doute ravi l'auteur d'Alice aux pays des merveilles. On y trouvait des castors de la taille d'un fauteuil, des tigres à dents de sabre, des tortues pesant aussi lourd qu'une voiture, des chameaux toisant plus de 2 mètres à l'épaule et des mammouths. Mille ans plus tard, ces espèces avaient disparu, emportées par une extinction de masse spectaculaire. On observe en parallèle de cet épisode d'extinction massive une baisse marquée des concentrations de méthane (un gaz à effet de serre très puissant) dans l'atmosphère et une forte chute des températures correspondant à l'épisode glaciaire dit du Dryas récent. Smith et al. envisage qu'une partie de cette baisse (entre 13% et 100%, ce qui fait quand même une belle échelle de variation) pourrait être expliquée par l'extinction des grands ruminants américains comme le mammouth, qui émettaient jusque là du méthane.

Le sujet est plus glissant qu'on ne le pense. Car à supposer que la disparition des mammouths américains puisse en partie expliquer l'avancée des glaces il y a 12 000 ans, la question de la cause de cette disparition reste ouverte. Dans leur article, Smith et al. reprennent à leur compte la théorie d'une chasse excessive de l'espèce par les premiers Amérindiens, qui seraient arrivés il y environ 12 000 ans sur le continent américain. Vu d'Europe, il est difficile de mesurer à quel point cette théorie déclenche les passions en Amérique du nord. Les Amérindiens vivent en effet particulièrement mal une hypothèse qu'ils estiment avoir été créée de toutes pièces pour dédouaner les Blancs de la gestion plus que discutable des ressources naturelles sur le sol américain depuis 1492. Même sans rentrer dans ce débat, Smith et al. semblent mal renseignés sur les dernières avancées scientifiques en ce qui concerne l'Amérique précolombienne. En effet, il semble de plus en plus probable que l'arrivée des premiers Amérindiens remonte à bien plus de 13 000 ans. Certains archéologues avancent des chiffres allant jusqu'à plus de 30 000 ans. Certes, ces avancées ne permettent pas de répondre au pourquoi de la disparition du mammouth américain. Néanmoins, elles rendent nettement moins plausible l'image d'une horde sanguinaire d'Amérindiens fraîchement arrivés se jetant sur le moindre mammouth jusqu'à faire disparaître l'espèce.

Il est possible que la disparition des mammouths ait eu des conséquences inattendues sur le climat. Il est également possible que la chasse pratiquée par les Amérindiens ait entraîné une diminution des effectifs de l'espèce. De là à dire que les humains d'il y a 12 000 ans sont responsables, même en partie, d'un âge glaciaire, il y a un pas. Suffisamment important pour ne pas être franchi dans l'état actuel des connaissances.

Dans un souci d'objectivité, je me vois contrainte de vous faire également part ici de l'hypothèse émise dans l'âge de glace 2 de Blue Sky Studios : le dernier mammouth américain femelle aurait eu un conflit d'identité. Mais que font les psychologues pour éléphantidés ????


Image : Age de glace 2

lundi 21 juin 2010

Du tabac au climat, ou les dessous d'une histoire sale

Ne nous y trompons pas : en théorie, nous avons de la chance de vivre dans une époque éclairée. Cela n'a en effet pas toujours été le cas. Durant le vingtième siècle par exemple, les choses étaient bien différentes d'aujourd'hui. Pour commencer, les gens étaient des drogués. J'en veux pour preuve l'explosion de la consommation de cigarettes qui a marqué la première moitié du siècle, les ventes passant de 80 cigarettes par habitant et par an aux États-Unis en 1910 à 10 cigarettes par jour et par habitant en 1950 — ce qui représente tout de même plus de 4000 cigarettes par an pour chaque fumeur. En 1951, il est estimé que 3 à 5% du budget des consommateurs américains est consacré au tabac. Ne nous étonnons pas dans ces conditions des réactions négatives qui accompagnent à l'époque chaque hausse du prix des cigarettes, vécue comme un racket.

Étrange corrélation
Malgré le capital sympathie dont jouit le tabac entre 1900 et 1950, certains aspects de sa consommation ne manquent pas d'inquiéter quelques esprits chagrins. Outre la dépendance que semble créer le produit, la hausse de la mortalité due au cancer du poumon intrigue fortement les scientifiques. Il faut reconnaître que cette dernière est spectaculaire ; en 1919, la maladie est encore une rareté avec une prévalence de 0,6 cas pour 100 000 décès, le genre de chose que l'on ne voit qu'une fois dans une carrière de médecin. Dans les années 50, elle est devenue le cancer le plus commun après le cancer de l'estomac, avec une prévalence de 31 cas sur 100 000 décès. Les études publiées dans les revues scientifiques, de plus en plus nombreuses, incitent en 1954 le ministre américain de la santé à déclarer "qu'il faut maintenant considérer comme établi le lien entre le fait de fumer et le cancer du poumon".

Une propagande qui s'appuie d'abord sur la publicité mensongère...
Ces propos ne sont pas du goût de l'industrie du tabac, dont les bénéfices sont d'ores et déjà colossaux (ils seront estimés à 8 milliards de dollars pour le seul territoire américain en 1964). Très vite, cette dernière s'organise pour répondre à des attaques qui menacent de dégénérer en législation contraignante. Dès 1954, elle débute sa lutte par des campagnes publicitaires niant le lien entre tabac et cancer. Elle débauche également des dizaines de scientifiques, qui mettent en doute ce lien dans des pamphlets distribués chez les médecins et dans la presse nationale. La hausse de la prévalence du cancer du poumon étant difficile à contester, l'industrie s'attache à insinuer subtilement que cette évolution pourrait être due à d'autres facteurs que la cigarette, comme la pollution de l'air. Elle tente également de convaincre le consommateur de l'innocuité du produit en promouvant les cigarettes à filtre — tout en augmentant la dose de nicotine dans ces dernières.

Le nuage de fumée que soulève la controverse orchestrée par l'industrie du tabac se révèle payant. Ce n'est qu'en 1962 que le gouvernement américain décide de créer un comité d'experts scientifiques chargé d'évaluer les impacts du tabac sur la santé. En 1964, le couperet tombe : le comité indique qu'il existe bel et bien un lien entre le cancer du poumon et la cigarette. En dépit des objections de l'industrie du tabac, qui fait remarquer que la cigarette assure un revenu à de nombreux citoyens américains, le législateur finit par voter le Federal Cigarette Labeling and Advertising Act, qui oblige l'industrie à partir de 1966 à préciser sur les paquets que le produit est potentiellement nocif.

... puis sur les messages simplistes qui sèment le doute
L'industrie du tabac ne se laisse pas abattre par ce coup dur, qui est suivi en 1971 par l'interdiction de la publicité sur les cigarettes à la télévision et la radio. Elle commence par s'assurer du silence — qui va durer 10 ans — de l'Association Médicale Américaine (AMA) par un don de 10 millions de dollars. Elle entame ensuite une vaste campagne de propagande en finançant en sous-main le livre d'un scientifique, au titre évocateur : "Fumer n'est pas dangereux". Sa stratégie, qu'elle décrit en détail dans des notes internes, consiste à semer le doute sur l'impact réel du tabac sur la santé en brodant de manière imaginative sur le thème "nous n'avons pas assez de preuves". Dans la guerre qu'elle mène contre les mouvements anti-tabac, tous les coups sont permis. Elle invoquera ainsi successivement un biais des études scientifiques, lié au fait que les fumeurs ont plus de probabilité d'être soumis à des tests de cancer du poumon et donc d'être diagnostiqués (1974) et un vaste complot contre la liberté individuelle (1978).

Les fumeurs passifs : l'iceberg du Titanic
Avec une grande clairvoyance, l'industrie du tabac identifie dès les années 70 la question des fumeurs passifs comme la principale menace qui pèse sur son activité. Que le lien entre fumeur passif et cancer soit reconnu, et c'est tout un nouveau pan de législation qui va accabler la société américaine. Pendant plusieurs années, l'industrie va utiliser le poids de son budget publicité dans les journaux américains pour s'assurer de l'absence d'articles trop explicitement anti-tabac. Malgré ses efforts, le lien entre fumeur passif et cancer sera néanmoins établi formellement en 1986 dans le rapport annuel du comité d'experts scientifiques qui officie depuis 1962. C'est le début de la fin.

Dans les années 90, de nombreux journaux décident ainsi de refuser les financements publicitaires de l'industrie. Au cours des années qui suivent, les procès contre les entreprises du tabac et les interdictions de fumer dans les lieux publics se mettent à pleuvoir. Après 5 décennies de lutte acharnée, l'industrie du tabac voit ses ventes s'effriter dans les pays développés ; en 2006, seuls 24% des hommes et 18% des femmes étaient des fumeurs aux États-Unis, contre plus de 50% des hommes et 35% des femmes en 1965.

The show must go on
Faut-il déduire de cette baise de consommation que tout va mal pour les lobbyistes de l'industrie du tabac ? Ce serait sans doute un peu prématuré. Le marché des pays en développement reste en effet ouvert. De plus, pour ceux qui souhaiteraient se concentrer sur les pays développés, il est possible de recycler sur d'autres sujets les enseignements précieux retirés de 50 ans de propagande contre un consensus scientifique. Le glissement est déjà réalisé depuis quelques années ; ne nous étonnons donc pas de trouver des liens troublants entre certains discours concernant la question climatique et la stratégie passée de l'industrie du tabac. Cette dernière a fait ses preuves !

Pour les esprits soupçonneux de notre temps, qui souhaiteraient ne pas voir les industries s'enrichir aux dépens des intérêts à long terme des citoyens, la vigilance impose de s'intéresser en détail aux sources de financements des scientifiques qui se déclarent "dissidents" et de considérer avec le plus grand scepticisme les théories du complot relayées par la presse et internet. Ce n'est qu'à ce prix que nous pourrons réellement dormir sur nos deux oreilles.

Source : l'essentiel des informations citées ici provient du site très bien documenté Tobacco.org

English version: From tobacco to climate, the reuse of a winning method

Images :
The man who thinks for himself knows... publicité pour les cigarettes Viceroy
AMA says have a cigarette, publicité pour les cigarettes Lucky Strike

mercredi 9 juin 2010

Workaholics in your company? Keep your cubicles!

In Europe as in America, open workspace has become increasingly trendy lately. This cannot be attributed to a real eagerness of the workforce, who often finds the concept difficult to handle and complains about its noisiness and its lack of privacy. The main argument, especially in cities with expensive real estate, is usually the cost: in Paris for instance, an open workspace can lead to alleged savings of 10% to 40% on renting expenditure. Not something to be easily disregarded in those tough times!

Yet, before moving from cubicles to open workspace, managers may be well inspired to take a closer look at their energy expenses, especially if the company hosts one or several workaholics.

This is what was discovered by the consultants of the French Environment and Energy Management Agency (ADEME) when they realized the first energy assessment of a brandnew building in Paris, built with the specific aim of minimizing its energy intake. At first, the consultants could barely believe what they saw: instead of the expected model "green" building, they were actually leafing through enormous energy bills! In order to understand what was happening in this place, the building was examined from roof to floor, but no previously undetected energy leak was found. On the other hand, when consulants started to scrutinize the company habits and workforce, they discovered that one of the manager had very peculiar working hours. He was indeed working at night. And unfortunately, the open workspace meant that the presence of one single person was enough to keep the heating and cooling system working outside normal working hours... and hence ruining the energy savings made the rest of the time!

This story is based on a small part of the speech given during a conference (Smart Grid et Smart Homes : évolution ou révolution) held by the Profesionnal Group Centrale-Energies on May 20, 2010.

dimanche 6 juin 2010

Contribution du grand dégel à la Chaîne Energie de l'Expansion

J'ai récemment eu le plaisir de publier un article sur la Chaîne Énergie de l'Expansion. Je souhaite en conséquence la bienvenue aux nouveaux lecteurs qui ont rebondi de la Chaîne Energie sur Le grand dégel.

Le grand dégel est un blog bilingue qui s'intéresse aux nombreuses questions soulevées par le changement climatique, notamment en Europe et en Amérique du nord. Les commentaires y sont appréciés, donc n'hésitez pas à faire part de vos impressions !

mercredi 26 mai 2010

Les faiblesses cachées de Kyoto

-1,5% en 2007, -1,9% en 2008, -8,5% en 2009.... Au Royaume-Uni, les émissions nationales de gaz à effet de serre se réduisent comme peau de chagrin. Selon les estimations provisoires du Ministère de l'Energie et du Changement Climatique, le pays est parvenu en 2009 à ramener ses émissions annuelles à 575 millions de tonnes équivalents CO2, ce qui représente une chute de plus de 25% des émissions par rapport au niveau de 1990. Ce résultat dépasse largement l'objectif de -12,5% par rapport à 1990 fixé dans le cadre du protocole de Kyoto et le Royaume-Uni fait donc figure de bon élève dans la cour européenne.

Le maillon faible du protocole
Pourtant, les choses ne sont pas aussi roses qu'elles le paraissent à première vue. Si j'en crois les résultats d'une analyse publiée en janvier 2010 dans le journal scientifique Environmental Science and Technology, le bilan britannique est surtout emblématique de l'un des grands paradoxes du protocole de Kyoto. Certes, entre 1990 et 2004 (la période couverte par l'étude), l'économie britannique s'est décarbonée, notamment grâce à la transition vers une économie plus axée sur les services et qui privilégie l'utilisation du gaz naturel à celle du charbon. Mais cette transition n'a pas impacté à la baisse les habitudes de consommation des Britanniques, qui ont continué à acheter des biens manufacturés. Les biens en question ont simplement eu tendance à être de moins en moins souvent fabriqués au Royaume-Uni et de plus en plus souvent importés de pays non soumis à des obligations de réductions d'émissions dans le cadre du protocole de Kyoto. En tenant compte de ce flux grandissant d'importations, il apparait qu'entre 1990 et 2004, le Royaume-Uni a en réalité vu ses émissions de gaz à effet de serre enfler d'environ 9%, ce qui est fort éloigné de l'objectif fixé par le protocole international.

Bien que cette analyse n'ait pas été réalisée de manière détaillée pour l'ensemble des pays de l'Union Européenne, le cas du Royaume-Uni peut sans doute être comparé à l'arbre qui cache la forêt. A l'heure où les débats internationaux concernant l'après Kyoto font rage, il serait par conséquent de bon ton de réaliser qu'il y a peut-être quelque chose de pourri dans ce protocole...

dimanche 9 mai 2010

Les nuages tu ensemenceras

Dans un premier temps, on pourrait presque croire à une publicité pour dentifrice : John Latham et Stephen Salter proposent de blanchir les nuages. Les deux compères ne sont pourtant pas des as du marketing, mais bien des scientifiques, l'un chercheur au Centre National de Recherche Atmosphérique de Boulder, dans le Colorado aux Etats-Unis et l'autre professeur au département d'ingénierie de l'Université d'Édimbourg en Écosse.


Small is whiter
L'idée qu'ils défendent ne date pas d'hier ; elle a fait l'objet d'une publication de John Latham dans la très prestigieuse revue Nature en 1990. Le concept général en est simple : les nuages sont formés de vapeur d'eau, qui se condense en gouttelettes autour de fines particules solides, appelées "noyaux de condensation". Faisant sienne la devise "égalité", la vapeur d'eau tend à se condenser sur chaque noyau. Dans un nuage riche en noyaux et à quantité de vapeur d'eau égale, les gouttelettes auront donc tendance à être plus petites. Or, à masse égale, plus les gouttelettes d'un nuage sont petites, plus le nuage est blanc et plus il réfléchit les rayons solaires ; il a un albédo plus élevé.

Bonnet d'âne pour les stratocumulus
Dans cette course à l'albédo, les stratocumulus, qui recouvrent 25% à 30% de la surface océanique, notamment dans les régions subtropicales, font souvent figure de cancres. Nuages de basse altitude, ils passent en effet fréquemment leur vie en mer. Or, un nuage est plus riche en noyaux de condensation s'il traverse des terres, où il pourra se charger en poussière et autres résidus volatiles. Face à ce problème existe une solution (relativement) simple : il "suffit" d'ensemencer ces nuages en particules, ce qui permettra d'augmenter leur albédo et nous offrira un répit pouvant peut-être aller jusqu'à 25 ans !

Des vertus cachées du sel de mer
Pour ce faire, Latham et Salter proposent de mettre en place une flotte de machines qui fonctionneraient à l'énergie éolienne et pomperaient l'eau de mer pour la rejeter dans l'atmosphère sous forme de très fines gouttelettes. Ces gouttelettes contiendraient des cristaux de sel, qui joueraient le rôle de noyaux de condensation. Bien sûr, comme les cristaux de sel auraient tendance à retomber rapidement sous forme de pluie, l'effet réfléchissant ne serait que temporaire et son maintien nécessiterait un travail constant des machines. Néanmoins, la méthode présenterait l'avantage d'être flexible (on pourrait moduler le travail des machines à distance et déplacer la flotte en fonction de l'emplacement des nuages) et d'être basée sur des éléments non-polluants, puisqu'il s'agit d'eau de mer et de vent. Par ailleurs, les effets de cette activité pourraient se dissiper très rapidement en cas de problème imprévu.

Tous les chercheurs ne sont toutefois pas aussi enthousiastes que Latham et Salter. Selon une équipe de scientifiques du MetOffice qui s'est penchée sur la question, l'opération pourrait notamment se solder par une forte réduction des pluies au dessus de l'Amérique du sud... ce qui reviendrait à accélérer l'agonie de la forêt amazonienne.

Le débat reste donc ouvert. Mais pour combien de temps ?

Image : ciel des Alpes, vu par Sophie

mardi 4 mai 2010

Publication externe d'un article du grand dégel

Il n'est pas trop tard pour vous le dire : un article du grand dégel a fait l'objet d'une publication exceptionnelle dans le Recherché, le journal de l'association des étudiants aux cycles supérieurs de Polytechnique Montréal.

Vous pouvez trouver l'article sous le lien suivant : Le Recherché de septembre 2008.

dimanche 2 mai 2010

Meteorology and climatology: two different worlds


This might come as no surprise to the numerous tourists strolling around the surroundings of the French Riviera: Marseille (the third most populous metropolitan area of France) enjoys a Mediterranean climate. In addition to a significant number of British citizens moving to the area in the wake of Peter Mayle, this means that the summers in the city are usually hot, while autumns and winters are mild. Most rainfall is recorded during the autumn and winter season.

On the other side of the Atlantic Ocean, and despite close latitude, Montreal is characterized by a continental climate. This means that winters are cold (some might even say very cold), while summers are hot. Precipitations are recorded the year round.

Now prepare yourself for a shock: on January 9, 2009, it snowed in Marseille; it might also have been the case in Montreal, but for some odd reason, it dit not end up making the cover of newspapers (I had a look to make sure). This snow event is of course very interesting, but I think you may easily conclude with me that this does not modify the first piece of information of this post: Marseille is and remains to this day a Mediterranean city. Even if we assume, just for the sake of argument, that on January 9, 2009, it snowed in both Montreal and Marseille, it will not lead us to deduce that Marseille is going through some strange climate change event that would make its climate closer to the Canadian one. For this to be the case, it would have to snow for numerous consecutive winters, the average temperatures recorded at Marseille's airport would have to plummet in both winter and summer and holly oaks would have to be replaced by maples. Of course, none of these changes would take place within a fortnight or even a ten-year period. Thus we would not be certain of a climate change before very long years had passed.

One swallow does not a summer make
It follows from the example above that no single weather event can by itself define a given climate. This is of course all the more true for a changing climate. It is not because it snowed in Marseille in January 2009 that the climate of the city is cooling. Similarly, it is not because the hurricane Katrina wreaked havoc in New Orleans that it proves the world climate is changing.

On the other hand, it is because scientists have been recording for years a rise of average temperatures in the weather stations of the planet that we have the certainty that something is happening with climate. When this kind of things happen, events such as Katrina become more likely, while snow in Marseille becomes less frequent. But this does not mean it cannot happen. January 9, 2009 made this point clear.

Image: Marseille, seen by Sophie

Version française : Climat, météo, késako ?

vendredi 23 avril 2010

La phrase... de Bertrand Barré

"Dans mon enfance, avant 1950, nous écoutions la "TSF" à table, (...) notamment une émission à succès qui s'intitulait fièrement "40 millions de Français". (...) La télévision en noir et blanc était encore une curiosité hors de prix et la voiture un grand luxe. Nous sommes aujourd'hui 64 millions de Français avec, presque tous, télévision, voiture, téléphone portable, machine à laver, etc. A l'école, j'apprenais que l'empire des Indes comptait 400 millions d'habitants : Inde, Pakistan, Bangladesh totalisent aujourd'hui près du triple et leur mode de vie change très vite".

Ainsi parle Bertrand Barré, ingénieur spécialiste du nucléaire, dans un récent article publié par l'Expansion. Loin de représenter un accès de nostalgie un peu ringard, ces propos sont significatifs. Ils illustrent en effet le changement sans précédent qui a marqué l'humanité au cours des dernières décennies.

Selon l'ONU, la population mondiale a ainsi pratiquement triplé en deux générations, passant de 2,5 milliards d'humains en 1950 à presque 7 milliards en 2010. Durant la même période, le niveau de vie des individus a beaucoup augmenté. En regardant l'espérance de vie à la naissance, un indicateur qui reflète des aspects aussi variés que le taux de mortalité infantile, les politiques de santé publique et l'accès aux soins médicaux et à la nourriture, on constate une progression fulgurante des chiffres. Alors qu'en 1900, un Américain ou un Britannique avait une espérance de vie à la naissance de 47 ans, un bébé naissant dans les même pays aujourd'hui peut espérer vivre près de 80 ans. Dans un pays très pauvre, comme le Bangladesh, l'espérance de vie à la naissance est d'ores et déjà supérieure de plus de 15 ans (64 ans) à celle observée aux États-Unis et au Royaume-Uni en 1900.

Selon toute probabilité, ces différents chiffres ne vous sont pas totalement étrangers. Ils sont évoqués de manière suffisamment fréquente pour ne plus susciter qu'un intérêt modéré chez la plupart d'entre nous. Pourtant, ils sont loin d'être anodins. La conjonction de la hausse spectaculaire du niveau de vie et de la taille de la population explique en bonne partie l'envolée des émissions de gaz à effet de serre observée au cours des dernières décennies. Mais en plus d'être la cause du problème, ces deux évolutions conditionnent également les réponses que nous pouvons y apporter. En effet, il est probable que les réflexes hérités du passé, y compris du passé récent, se révèlent obsolètes dans le contexte actuel. Les solutions adaptées à un monde de 3 milliards d'humains (avant 1960) ou de 5 milliards d'humains (1990) ne sont probablement pas les plus à même de répondre aux besoins d'un monde de 7 milliards d'humains ou plus.

Quelque part au cours du 20ème siècle, l'humanité a changé l'échelle du problème auquel elle était confronté. Par là même, elle a également changé la nature du problème. Cet aspect n'est pas forcément bien intégré dans les solutions proposées pour le résoudre. Il serait pourtant important d'en tenir compte... car c'est rarement dans l'urgence que l'on se révèle le plus créatif.

Image : évolution démographique depuis le Néolithique. Source : musée de l'Homme

jeudi 22 avril 2010

Le plan B a le vent en poupe

Floraison d'articles scientifiques, annonce régulière de nouvelles subventions, succession de réunions et de comités scientifiques... ces derniers temps, la géo-ingénierie fait parler d'elle. Alors que le grand public reste focalisé sur le Climategate, le monde des sciences s'intéresse en effet de plus en plus à la question du "plan B" : comment retarder un changement climatique catastrophique dans un monde où les plans d'actions politiques se révèlent insuffisants ou pas assez rapides ?

Face à cette question pressante, les solutions proposées par la géo-ingénierie sont inventives, allant de la capture du CO2 atmosphérique par des arbres artificiels à l'installation dans l'atmosphère de miroirs réfléchissants les rayons solaires. En cas d'application, ces différentes mesures auraient un impact parfois difficile à prévoir pour l'ensemble des habitants de la planète. A ce titre, elles ne devraient pas être passées sous silence. En conséquence, elles seront décrites à l'avenir sur Le grand dégel, sous la rubrique géo-ingénierie.

mercredi 21 avril 2010

Des dangers de l'amour du vin

Pour une raison qui m'échappe, les sceptiques climatiques semblent nourrir une passion dévorante pour la Scandinavie et les zones qui s'y rattachent. Nous avons déjà débattu du cas du Groenland. Mais si j'en crois le commentaire récent d'un lecteur de la France Agricole, la Suède suscite également un engouement qui mérite d'être relevé.

Le point soulevé dans ce journal est le suivant : il y a 1000 ans (durant la fameuse période chaude médiévale), on faisait pousser de la vigne en Suède. Le climat actuel du pays ne le permet pas. Dans ces conditions, comment diable peut-on penser qu'il y a réchauffement climatique ?

Après une petite vérification, il semblerait que l'exemple de la Suède ne soit pas le plus pertinent, puisque la présence au Moyen-Age de vignobles dans certains monastères du sud du pays n'y est pas complètement attestée. Ce qui est sûr en revanche, c'est que cette région accueille aujourd'hui environ 10 hectares de vignes à destination commerciale.

Par ailleurs, l'existence de vignobles au Moyen-Age dans le nord de l'Europe peut être attribuée à des facteurs autres que le climat, tels que la nécessité de produire du vin de messe, moins facile à importer dans un monde où les déplacements étaient à la fois longs et coûteux.

mardi 30 mars 2010

La phrase d'... un chauffeur de taxi

Kiev, Ukraine, 3 décembre 2009.

- Snow? We have no more snow here. It's global hot !

La réponse de mon interlocuteur, un chauffeur de taxi à la quarantaine bedonnante, est précédée d'un énorme éclat de rire. Il faut dire que ma question (you have no snow here ?) n'est certainement pas un modèle d'intelligence : après tout, je suis parfaitement capable de voir qu'il pleut à verse !

Dans les faits, et comme ailleurs en Europe, les Ukrainiens n'ont pas manqué de neige cet hiver. Il n'empêche... mon chauffeur de taxi n'avait pas tout à fait tort. D'après l'institut de météorologie ukrainien, la température moyenne enregistrée en janvier et février a gagné 0,5°C en dix ans. Un saut énorme, largement suffisant pour justifier sa réponse... et son rire face à ma naïveté occidentale.

Image : la cathédrale Sainte Sophie, vue par Sophie

dimanche 21 mars 2010

Greenland or the false legacy of a name

I don't know if you have noticed this, but Greenland's popularity tends to climb almost as quickly as greenhouse gas levels in the atmosphere. One might imagine this is linked to its scientific and potential business opportunities. But this would be shortsighted. Actually, the ones that I most often hear talking about Greenland lately are climate skeptics. If this sounds like a paradox to you, it might be because you have not fully realized the potential of a name like Greenland.

The general line of thinking goes as follows: the island known as Greenland was named in the 10th century, a time which has become known as the Medieval Warm Period (MWP) in the northern part of the Atlantic Ocean. Scientists believe that temperatures during that time were close to the ones recorded today in this part of the world. Yet, for any sane being born today, the name "green land" clearly seems more suited to the grassy shores of Ireland than to the ice-cold fjords of Greenland. One can thus easily conclude that if Greenland looked like Ireland one thousand years ago during the MWP, then the climate at the time was obviously warmer than today, which would imply that we are still within the normal range of temperature variation. This whole thought may seem simple and clear-cut... but does sadly not take into account the fact that Erik the red, the "discoverer" of Greenland, was not a great friend of simplicity.

A violent yet creative character...
Even for the standards of his time, Erik the red was definitely not the kind of man you would like your daughter to marry. Born in Norway around 950, he was banned from the country around his 25th birthday, after having killed a man. He moved to Iceland, then a Norwegian colony. Unfortunately, his stay there did not attract him many friends. Neighbours seemed to have serious difficulties understanding his point of view on various matters and this led to several bloody arguments. Around 982, Erik drove his sword yet one time too much and was forced into exile once again.

This second conviction was no doubt a very serious matter. Forbidden to enter either Norway or Iceland (the latter for a presumed period of three years), Erik found himself into a deadlock. As a man of will (or maybe because he was driven by despair), he remembered old tales describing how Gunnbjörn, a sailor that lived a century ago, had found a land further west. Having nothing to lose, Erik decided to risk it; chartering a ship, he sailed west, hoping to find this land. His quest was successful: having reached Greenland, Erik explored the island and finally decided he would found a colony there.

... for one of the most talented advertiser of History
At this point of the story, one cannot help but suspect that the three years spent in Greenland made it clear for Erik that the place was probably not the most well-suited for his grand plans. A colony based on trade would indeed have the greatest difficulties in a place so far away from Norway, locked into the ice for most of the year. The main other resource of Nordic colonies, livestock rearing, would certainly not be easy to develop either, as the long winters meant that grasslands could only be used three months in a year. Even worse, wood and iron were rare. But for Erik, nothing was impossible and he pursued his goal with great tenacity. However, being (or so it seems) rather realistic, Erik sensed that describing his newfound land as "Snowland" would probably not be the best way to achieve success. This is why, according to some Nordic chronicles, he named the island "Greenland", hoping that a beautiful name would help attract people. His bet was right and marked the beginning of an adventure that would last 400 years... and a myth that would last even more.

French version can be found at Erik, ce grand farceur

Sources:
Collapse, from Jared Diamond
Heimskringla, text of the Scandinavian saga, notably Islendingabök

mardi 16 mars 2010

Fermeture des commentaires anonymes/No access to anonymous comments anymore

Suite à la prolifération de publicités envoyées par commentaires sur Le grand dégel, je me vois contrainte de fermer l'accès aux commentaires pour les utilisateurs anonymes. Ceci ne change rien pour tout ceux disposés à laisser un nom ou un pseudo en même temps que leurs commentaires. Merci de votre compréhension.

Due to the increased frequency of adds received through comments on Le grand dégel, I find myself obliged to close the access to comments for people unwilling to leave a name as well as a remark. Thank you for your understanding.

mercredi 10 mars 2010

Science sans conscience ?

A moins d'être exilé sur Mars, il est bien difficile de ne pas avoir entendu parler du "scandale climatique" qui agite depuis quelques mois les médias et les internautes. Complot des scientifiques, fraude généralisée, absence de vérification des sources... les accusations pleuvent. Il est temps de procéder à une mise en situation, basée sur l'excellent travail d'investigation réalisé par Fred Pearce, contributeur régulier au Guardian.

L"affaire" ou les dessous d'un conflit
Le Climategate - à la base de l'agitation actuelle -, c'est avant tout l'histoire d'une guerre. Une guerre sans gloire et sans merci, teintée d'idéologie. Une guerre qui, comme tous les conflits dignes de ce nom, n'est pas exempte de victimes ; dans ce cas précis, la principale d'entre elles est sans nul doute la Science.

Comme souvent en la matière, les germes du conflit ne sont pas récents ; ils remontent à la fin des années 1980. C'est en effet à cette période que fut créé un panel d'experts chargé de se pencher sur l'ensemble des connaissances scientifiques accumulées dans le domaine du changement climatique. Ce panel, c'est bien sûr le GIEC, dont la tâche consiste à synthétiser la très grande masse de publications disponibles sur le climat dans un rapport publié à intervalles réguliers et conçu comme un outil d'aide à la décision à l'usage des dirigeants politiques.

Des origines d'un grand écart...
C'est là que le bât blesse, car science et politique ne font pas forcément bon ménage. Par certains aspects, les deux approches sont même incompatibles : là où les scientifiques se nourrissent de polémiques et d'incertitudes, les hommes politiques réclament des conclusions claires et tranchées. Dès l'origine, les scientifiques en charge de la publication des rapports du GIEC ont donc été confrontés à un dilemme : comment résumer en un rapport - en réalité, en une synthèse de quelques pages, car c'est la seule partie du rapport qui sera lue à grande échelle - toute la complexité et l'urgence soulevées par la question du changement climatique ? La solution retenue tient en un mot : simplification. De manière prévisible, cette dernière s'est faite au détriment des incertitudes soulevées par la communauté scientifique.

... et de ses conséquences
Dans les années 2000, cette simplification a eu pour effet d'alimenter la suspicion d'un certain nombre d'individus qui, s'ils n'étaient pas membres de la communauté scientifique, bénéficiaient en général d'une formation en mathématiques ou en statistiques. Souvent jeunes retraités, ces individus isolés ont mis à profit leur temps disponible pour reprendre les données ayant servi aux principales conclusions du GIEC. Par l'intermédiaire de leurs blogs, ces sceptiques ont tenté de démontrer que les données avaient été mal utilisées ou provenaient de jeu de données biaisés, donc inutilisables. Dans la grande majorité des cas, les critiques dont ils ont couvert la Toile ne soutiennent pas un examen attentif. Cependant, la propagation des idées se joue moins sur leur objectivité que sur leur fréquence ; le décalage croissant entre des scientifiques enfermés dans leur tour d'ivoire et ne jurant que par l'évaluation de leurs analyses par leurs paires, et la rapidité de diffusion des idées sur internet s'est rapidement révélée favorable aux sceptiques.

Cette différence d'expression a permis d'entretenir un flou sur la question climatique, flou que la communauté scientifique, de plus en plus en proie à une mentalité d'assiégé, n'a pas su lever. A sa décharge, il faut reconnaître que le débat objectif a été compliqué par l'action de lobbies économiques ou politiques, pour qui la mise en place de mesures contraignantes de limitations des émissions de gaz à effet de serre menace d'être catastrophique. N'hésitant pas à acheter des scientifiques pour entretenir la cacophonie ambiante, criant au complot planétaire contre la liberté individuelle et la démocratie, ces derniers se sont lancés dans une guerre d'usure contre les laboratoires travaillant sur la question climatique. La pression croissante pesant sur les chercheurs n'a pas été sans conséquence ; certains d'entre eux ont dérapé.

Effet boomerang ?
C'est ce qui s'est produit à l'université d'East Anglia au Royaume-Uni, où sont récoltées les données météorologiques utilisées pour évaluer les variations de températures à l'échelle mondiale. Au fil des années, certains chercheurs du département de climatologie, membres du GIEC, en sont arrivés à refuser de fournir des données aux sceptiques qui les réclamaient, allant possiblement jusqu'à les supprimer pour qu'elles ne tombent pas entre leurs mains. Ils en sont également venus à tenter d'empêcher la publication des articles des sceptiques dans les revues scientifiques ou à boycotter les revues soutenant des thèses contraires aux leurs.

Ces pratiques peu reluisantes ont été brutalement révélées au grand jour en novembre 2009, lorsqu'un millier de courriels échangés entre 1996 et 2009 ont été relâchés sur internet : c'est le fameux Climategate. "L'affaire" porte un sérieux coup à l'image d'intégrité des scientifiques et incite à s'interroger sur la nécessité d'une réforme du fonctionnement du GIEC. Néanmoins, en révélant les dessous d'une guerre idéologique, elle montre aussi le manque de scrupules et l'attitude partisane de nombreux sceptiques. En définitive, cet étalage de linge sale au grand jour semble se retourner contre ses instigateurs : en dépit du comportement opaque de certains chercheurs et d'erreurs significatives dans le rapport 2007 du GIEC, les données accumulées en plusieurs décennies continuent en effet de montrer un changement climatique, très probablement induit par l'homme. Les conclusions du rapport 2007 du GIEC sont donc encore valides, ce qui laisse les sceptiques orphelins du scepticisme éclairé... mais enfants du négationnisme.

lundi 22 février 2010

La phrase de... Svante Arrhenius

"Il est incroyable qu'un sujet aussi insignifiant ait pu me coûter une année entière de travail".

Quelques années plus tard, c'est ainsi que le scientifique suédois reviendra sur les innombrables équations qu'il a consacré au CO2 entre 1894 et 1895. Tout commence le 24 décembre 1894, lorsque Svante décide de noyer le désespoir dans lequel l'a plongé le départ de sa jeune et jolie femme par un calcul long et fastidieux : quel serait l'impact potentiel d'une modification de la concentration des gaz à effet de serre de l'atmosphère ? Ses cogitations mathématiques, qui rempliront des pages et des pages, l'amèneront à la conclusion qu'une baisse de 30% à 50% de la concentration de CO2 dans l'atmosphère se traduirait par une diminution de la température du globe de 4°C à 5°C. Inversement, une hausse de 50% de la concentration de CO2 se solderait par une augmentation de la température moyenne de 5°C à 6°C.

Ce travail, remarquablement proche des estimations actuelles, n'intéresse rigoureusement personne. Malgré cette déconvenue, Svante ne se laisse pas abattre ; quelques années plus tard, en 1903, il gagne ainsi le prix Nobel de chimie pour son travail sur la conductivité électrique des solutions salines.... et retrouve rapidement la félicité conjugale dans les bras d'une nouvelle femme.

dimanche 21 février 2010

Heading north: the great crop migration

My job is full of numbers. Yields, areas, quotes, temperatures... all take a big chunk of my working day. Most of these figures are predictable. Yet every once in a while, something really unexpected comes into focus.

Scandinavian oddity
This is exactly what happened a few months ago, when I entered for the second year in a row a corn production in Sweden. That piece of information puzzled me. In fact, had it not come from an official source, I would have believed it to be a mistake. Even if corn is grown on a very large scale in countries such as the US, it remains a tropical plant, not well adapted to the coolness of Swedish summers.

Though strange, the few thousand tons of corn produced in Sweden were not revolutionary enough to keep me awake at night. I would probably have forgotten the issue if I had not stumbled across an odd article barely a week later; it described the truly impressive growth of corn acreage in Denmark. As was highlighted in the paper, corn area totalled a mere 20,000 ha at the beginning of the nineties. In 2008, it had risen by almost ten folds. At the same time, the optimal sowing date for the crop had moved backward, from May 1 to April 20. Ten days in twenty years may seem anecdotal, but for an agronomist, this equals to a flashing red light: something is going on there!

Heading north
Quite excited, I decided to have a serious look at the corn data I have for Europe. Here is what I found:

Source: various national statistics offices. The data include both corn for silage and for grain.

In the northern fringe of Europe (namely Denmark and Poland, but also Sweden or the Baltic states), corn acreage has increased very sharply between 1995 and 2009. This also holds true in Germany, where the area allocated to the crop has gained 500,000 ha since 1995. However, as the German area was already quite high in 1995, this implies a smaller change in proportion than in other countries. On the other hand, corn area has stabilized or even decreased in countries of southern Europe (Italy, France, Slovakia, but also Spain or Hungary).

Without too much head scratching, I could thus easily see two things: first, that there seemed to be consistent changes in corn acreage happening both in the north and in the south of Europe. Secondly that situations in the south and in the north seemed to be opposite. As both the north and the south of the European Union are submitted to the same agricultural policy (the CAP), I was left with a growing suspicion that these contrasted changes may well be linked to climate. At this point, I decided to call one of the most prominent specialist of cereal physiology in France and get his point of view on the matter.

My story did not seem to surprise him much; in fact, it corresponded to what he had been monitoring for years. Agricultural species are moving north, as farmers take advantage of a wider growing window - the gap between sowing and harvesting dates. For a plant such as corn, the growing window is long (at least five months). In countries like Sweden, where summers are cool and winters come early, the long growth cycle of corn had until recently prevented any major development of the crop because the plant would not be able to perform its entire growth cycle before the frosts. Yet, as this drawback becomes less important, farmers in northern countries have started introducing the crop onto their farms...

Southern worries

Image: Tuscany

This explanation left me with one serious question: what would happen in southern Europe? If the growing window tended to increase in the north, one would expect that crop development in the south might be more frequently hampered by less auspicious weather events, such as droughts or hot spells. According to my own observations, this already seemed to be the case in several European countries located along the Mediterranean rim, where the area left fallow showed a tendancy towards increasing.

After I had expressed my concerns, there was a deep silence at the other end of the phone line. "This is a real issue, I was finally told. It is very likely at this point that future weather conditions in the south will exceed the adaptive capabilities of a species like wheat. Farmers will probably have to turn to more drought-resistant species. Who knows? In 2030 or 2040, farmers in Italy may well choose to grow sorghum or millet instead of durum wheat..."

If this turns out to be the case, then it is really worth wondering what farmers of more southerly countries, such as Mali or Niger, will be left to cultivate. Millet and sorghum both constitute staple food in Africa today. If these crops move north, answering this particular question might indeed become one of the most important issue of the coming years. If not of the century.

Version française : la grande migration agricole