jeudi 26 juillet 2007

Petite histoire de l'effet de serre (3)

Le CO2 revient de loin. Après avoir fasciné les scientifiques du 19ème siècle, il a eu droit (comme tous les grands de ce monde?) à sa traversée du désert. Mais grâce au travail rigoureux du physicien américain Gilbert Plass, la théorie de l'effet de serre revient sous la lumière des projecteurs à la fin des années 50 : pour la première fois depuis plusieurs décennies, les impacts potentiels du fameux gaz atmosphérique intriguent à nouveau la communauté scientifique.

Une théorie qui demande à être démontrée

L'ennui, c'est que la théorie de Gilbert Plass reste... une théorie. De son propre aveu, elle ne pourra être vérifiée que lorsque l'on disposera 1) de la tendance suivie par les températures terrestres au 20ème siècle et 2) de la démonstration que la concentration de CO2 atmosphérique a bel et bien augmenté au cours du même siècle.

La grande découverte de Keeling

S'il faudra attendre l'an 2000 pour pouvoir officiellement annoncer que la Terre s'est réchauffée de 0,6°C au cours du 20ème siècle, l'augmentation de la concentration de CO2 dans l'atmosphère sera quant à elle rapidement observée par un jeune chercheur de Caltech, David Keeling, qu'on peut sans risque qualifer d'obsédé du CO2.

En 1954, Keeling (un bricoleur) réalise à la main un instrument de mesure de la concentration du CO2 atmosphérique. Armé de ce précieux outil, il va se mettre à prendre des mesures compulsives de son gaz fétiche. Cette obsession l'amènera à une découverte capitale: il réalise que contrairement à la croyance collective, la concentration atmosphérique du CO2 est une valeur planétaire et non pas locale. Ceci implique que l'on peut mesurer précisément la concentration du gaz à partir d'un seul site. Ce site, ce sera Mauna Loa, à Hawaï, l'archipel le plus perdu de la planète. Les mesures commencent en 1958 et voici ce qu'elles montrent :

Un tel résultat est de nature à mettre un scientifique en alerte. Keeling ne fera pas exception. Dès 1959, lorsqu'il constate l'augmentation de la concentration de CO2 atmosphérique pour la première fois, il prend rendez-vous avec Guy Callendar, le défenseur de la théorie de l'effet de serre envers et contre tous et celui qui connaît le mieux le sujet. Ensemble, ils estiment que le niveau préindustriel de CO2 atmosphérique était probablement de 290 ppm.

Hansen, de Vénus à la Terre

La concentration atmosphérique de CO2 frôle les 340 ppm lorsqu'un brillant physicien et astronome américain fait une entrée remarquée sur la scène du changement climatique. James Hansen (encore lui) est initialement un spécialiste du climat de notre voisine Vénus. Par le plus grand des hasards, ce domaine de recherche fait également de lui un spécialiste de l'effet de serre, car Vénus (qui a peut-être eu un climat comparable au nôtre dans le passé) est aujourd'hui caractérisée par une très forte concentration de carbone dans son atmosphère. En conséquence, elle possède des températures 350 000 fois plus élevées que celles observées sur Terre.

Hansen, bien que très satisfait de se consacrer à une planète autre que la sienne, accepte en 1975 de participer à un projet ambitieux de modélisation de l'influence des gaz à effet de serre sur le climat terrestre. C'est le déclic : se rendant rapidement compte qu'il est bien plus intéressant scientifiquement de se consacrer à une planète dont le climat est en pleine modification, Hansen abandonne définitivement ses recherches sur Vénus en 1978 et se consacre à temps plein à la planète bleue.

Les sombres prédictions de l'astronome

Dès 1979, il crée une révolution en publiant une étude qui prédit qu'un doublement de la concentration de CO2 atmosphérique par rapport au niveau pré-industriel devrait résulter en un accroissement moyen de la température terrestre de 4°C, soit une température supérieure à celle observée il y a 100 millions d'années, lors de l'âge des dinosaures... Ce réchauffement est 2°C plus élevé que celui estimé en 1967 par Suyukoro Manabe, le seul chercheur à avoir réalisé une étude aussi complète que la sienne.

Face à l'émoi suscité par cette prédiction, le président Carter va demander la création d'un panel d'experts chargé d'estimer la validité scientifique de ces deux études. Le panel conclura à un réchauffement compris entre 1,5 et 4,5°C en cas de doublement de la concentration atmosphérique de CO2 (ce qui est très proche des conclusions actuelles de son descendant, le GIEC).

Vostok ou la fin d'un débat

En 1987, année où le GIEC est officiellement créé, l'importance du CO2 dans les variations de la température planétaire est élégamment démontrée par une équipe franco-russe, qui présente dans Nature les résultats obtenus lors de l'analyse d'une carotte de glace de 2033 mètres, extraite à la station antarticque de Vostok.


Ces résultats montrent de façon limpide que les températures et la concentration atmosphérique de CO2 se sont suivies étroitement au cours des 160 000 dernières années. De plus, l'effet de serre généré par la concentration atmosphérique de CO2 est de la bonne magnitude pour expliquer les changements de températures observés. Pour la majorité des scientifiques, cette démonstration clôt le débat : une augmentation de la concentration atmosphérique de CO2 entraîne bien un accroissement de la température terrestre. Et lorsque les activités humaines sont responsables de la combustion de l'équivalent de plus de 400 ans de toute la végétation terrestre en moins d'une année (comme c'est le cas en ce moment), et devraient entraîner un doublement de la concentration de CO2 atmosphérique pré-industrielle aux alentours de l'an 2025, il devient difficile de nier que l'homme a bel et bien un impact sur le climat!

Du débat scientifique au débat politique

Mais au moment même où le débat scientifique se clôt, une guerre sans merci débute. Le CO2 vient de faire une entrée remarquée en politique...

Pour ceux qui n'ont pas suivi...

Les interrogations du 19ème siècle : Petite histoire de l'effet de serre (1)
La grande traversée du désert, de 1903 à 1955 : Petite histoire de l'effet de serre (2)

Sources :

Données historiques : Thin Ice, de Mark Bowen
Graphe 1 : Evolution de la concentration atmosphérique de CO2 dans l'atmosphère ou courbe de Keeling, http://www.wooster.edu/geology/lackey/110.html
Graphe 2 : L'étroite relation entre concentration atmosphérique de CO2 et températures démontrée par la carotte de glace de Vostok
http://www.sierraclub.ca/national/programs/atmosphere-energy/climate-change/ten-myths.html

Aucun commentaire: