Reprenons la saga de l'effet de serre là où nous l'avons laissée, en 1903.
Au moment où le prix Nobel Svante Arrhenius prend conscience de la capacité humaine à modifier le climat (ce qu'il voit d'ailleurs comme une bonne chose pour l'agriculture des pays nordiques, donc pour l'humanité dans son ensemble...), la théorie qu'il a contribué à développer tombe soudainement en défaveur.
Ce brusque désintérêt est lié au développement dans les premières années du 20ème siècle de la spectrométrie. La jeune discipline, encore mal maîtrisée, fournit rapidement des résultats qui vont amener la communauté scientifique à conclure que l'impact potentiel du CO2 sur le climat est négligeable. Les interrogations du siècle précédent sont alors rejetées aux oubliettes.
Les doutes solitaires de Callendar
Pendant près de cinq décennies, la seule personne qui continue à s'intéresser au CO2 est un obscur ingénieur britannique, Guy Stewart Callendar. Seul contre tous, il va consacrer ses nuits à démontrer que les émissions croissantes de carbone dans l'atmosphère ont non seulement un impact sur le climat, mais que cet impact est déjà visible.
En 1938, Callendar estime ainsi, lors d'une présentation donnée devant la Royal Meteorology Society, que la concentration moyenne de CO2 dans l'atmosphère a augmenté de 6% depuis le début du siècle. Il observe également un léger réchauffement moyen au cours des 50 années précédentes et lie les deux phénomènes.
De façon assez prévisible, ces réflexions solitaires sont accueillies avec un intérêt plus que modéré. Comme le reste de l'Europe, la Grande Bretagne est alors confrontée à des questions plus urgentes qu'une incertaine élévation de la température mondiale, surtout si cette élévation, comme le pense Callendar, est vouée à avoir des conséquences positives pour le monde, centré comme il se doit sur la Grande Bretagne...
De la guerre froide...
Mais le CO2 n'a pas dit son dernier mot. Dans le contexte politique de la guerre froide, le réchauffement climatique va en effet revenir de façon plutôt paradoxale sur le devant de la scène, porté par la recherche militaire.
Dans les années 50, l'armée américaine investit de vastes sommes dans la recherche sur les rayons infra-rouges, dont les propriétés (en particulier l'intéressante capacité à être émis jour comme nuit par les êtres vivants à sang chaud comme les humains) ouvrent des perspectives militaires inédites. Ces recherches, qui vont contribuer à révolutionner les techniques de guerre, vont aussi permettre de découvrir l'existence d'une fâcheuse erreur dans le fameux protocole expérimental qui a innocenté le CO2 quelques décennies auparavant : les pressions appliquées expérimentalement étaient en fait bien supérieures à celle observée dans l'atmosphère de notre planète... Dans les conditions atmosphériques terrestres, le CO2 est bel et bien un important gaz à effet de serre!
... au réchauffement planétaire
Cette découverte va déclencher l'intérêt d'un physicien américain, Gilbert Plass. Employé par l'armée américaine pour travailler sur les rayons infrarouges, Plass met à profit un congé sabbatique réalisé à l'Université du Michigan en 1954-55 pour créer un modèle climatique à l'aide d'une nouvelle invention, l'ordinateur. Il conclut de ce travail de pionnier que les variations de la concentration de CO2 atmosphérique peuvent expliquer les changements climatiques observés par le passé, en particulier les phases de glaciation et de déglaciation mise en évidence par Agassiz.
S'intéressant aussi à l'avenir, il prédit qu'avec le niveau d'émissions des années 50, la concentration de CO2 atmosphérique devrait augmenter de 30% par rapport au niveau préindustriel d'ici l'an 2000. En conséquence, il estime qu'un réchauffement moyen de la Terre de 1,1°C devrait être observé à la même date (en réalité, ce réchauffement sera de 0,6°C).
Le spleen de l'après-guerre?
Est-ce l'influence de la seconde guerre mondiale et en particulier du drame de Hiroshima, qui a contribué à ébranler la foi collective dans le progrès? Toujours est-il que Gilbert Plass envisage les conséquences d'un réchauffement climatique avec nettement moins d'optimisme que ses prédécesseurs. Convaincu que les hommes brûleront l'intégralité des ressources fossiles qui leur tomberont sous la main (pour l'instant, il faut bien reconnaitre que les évènements lui donnent raison), Plass observe que "l'accumulation de dioxide de carbone dans l'atmosphère est un problème très sérieux à l'échelle de quelques siècles."
Sérieux, le problème l'est effectivement devenu. Et en bien moins de temps que ce que Plass imaginait.
Première partie (19ème siècle) : Petite histoire de l'effet de serre (1)
Troisième partie (l'après 1955) : Petite histoire de l'effet de serre (3)
Données historiques : Thin Ice de Mark Bowen
Photo 1 : http://en.wikipedia.org/wiki/Infrared
Photo 2 : Le physicien américain Gilbert Plass, http://photos.aip.org/history/Thumbnails/plass_gilbert_a1.jpg
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2 commentaires:
Ah les affreux spectroscopiste nous ont fait perdre des décennies ... Qu'on leur coupe la tête !
Oups j'en suis un ! :-)
Lionel,
Si tu amènes du champagne, promis, on en te coupera pas la tête ;-)
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