La grande séduction des biocarburants
Ils sont à la mode et le public y croit (1) : grâce à eux, les grands problèmes américains de dépendance énergétique et de changement climatique vont enfin trouver un début de solution. En cette période de grande réflexion nationale sur les alternatives possibles au pétrole, l'avenir s'annonce rose pour les biocarburants.
Les premiers à s'en féliciter sont bien évidemment les producteurs de maïs américains. Selon l'American Coalition for Ethanol, ils ont fourni en 2006 la presque totalité des 5 milliards de gallons (3) d'éthanol (2) produits nationalement, une quantité qui a permis d'assurer la vente d'un mélange essence-éthanol dans 46% des stations services américaines.
Biodiesel : côté clair...
Mais malgré sa suprématie incontestable, l'éthanol n'est pas la seule forme de biocarburants qui bénéficie actuellement d'une conjoncture extrêmement favorable. D'après la National Biodiesel Board, les biodiesels (biocarburants faits à partir d'huile végétale) ont également le vent en poupe : leur production n'atteignait certes qu'un modeste 250 millions de gallons l'année dernière, mais elle a tout de même été multipliée par 10 entre 2004 et 2006 sous l'effet d'une subvention fédérale de 1$ pour tout gallon de biodiesel mélangé au diesel américain!
Si j'en crois un article publié début juin dans la prestigieuse revue scientifique Proceedings of the National Academy of Sciences, la générosité de cette subvention _ le double de celle obtenue pour la production d'un gallon d'éthanol _ est plutôt bien pensée, car les biodiesels présentent des avantages comparatifs élevés par rapport à l'éthanol. Alors que l'éthanol offre par exemple un gain d'énergie de 25% par rapport à celle investie initialement dans sa production, le gain énergétique des biodiesels est de 93%. Par ailleurs, les cultures utilisées pour la production de biodiesels (aux Etats-Unis, il s'agit en général de soja) nécessitent le relâchage d'une quantité nettement inférieure de pesticides et d'engrais dans l'environnement.
... et côté obscur
Les biodiesels seraient-ils donc l'alternative idéale au pétrole? Pas vraiment. Pour commencer, ils ne sont pas plus que l'éthanol capables de remplacer les carburants fossiles. Qu'on en juge : si l'ensemble du maïs et du soja américains étaient utilisés uniquement pour produire des biocarburants (ce qui implique malheureusement que tous les Américains deviennent végétariens, hypothèse plutôt improbable), ils ne fourniraient que 12% des besoins actuels en essence et que 6% des besoins en diesel. Sachant que lesdits besoins augmentent chaque année, on comprendra facilement que l'on est plutôt loin du compte...
Un récent article du Christian Science Monitor met par ailleurs en lumière une conséquence imprévue de la généreuse subvention accordée par le gouvernement fédéral. L'histoire commence à l'automne 2006, avec un commerçant lambda spécialisé dans le négoce des biocarburants. Parfaitement à l'aise avec les cours mondiaux de ces produits, il décide d'importer de Malaisie une cargaison de 9 millions de gallons de biodiesel, produits à partir de l'huile de palme (elle même produite au détriment des dernières forêts tropicales de la région). La cargaison est envoyée à Houston, Texas, où après avoir été mélangée à 9 000 gallons de pétrodiesel, elle devient éligible pour la subvention fédérale. Le commerçant empoche donc 9 millions de dollars pour son opération. Mais le gain peut encore être augmenté avec un peu d'astuce : au lieu de vendre le mélange obtenu sur le marché américain, notre commerçant (pas si bête, décidément) choisit de profiter des prix plus élevés offerts par le marché européen et envoie l'ensemble de sa cargaison à Rotterdam. Et voilà comment une cargaison de biodiesel tropical se retrouve dispersée dans les stations-services européennes, grâce à l'argent du contribuable américain...
Entre pressions agricoles et environnementales
D'après le Christian Science Monitor, cette pratique reste encore marginale, mais risque de faire beaucoup d'émules si rien n'est fait pour y remédier. Ce n'est pas le lobby agricole qui y poussera, car il bénéficie grâce à ce système d'un intéressant avantage compétitif sur le marché international. Il reste donc à souhaiter que le pouvoir législatif saura réaliser à temps que la généralisation d'une telle pratique annule passablement le bénéfice environnemental de cette alternative, qui si elle n'est pas miraculeuse, n'en reste pas moins intéressante.
(1) Selon un sondage réalisé en janvier 2007 par l'United Press International, la majorité des Américains pensent que les biocarburants sont les remplaçants les plus probables des carburants fossiles.
(2) Ethanol : biocarburant produit à partir de sucre ou d'amidon.
(3) C'est peu pratique, mais il faut faire avec : les Américains ne fonctionnent toujours pas avec le système métrique. Je m'excuse donc de vous annoncer qu'un gallon représente 3,785 litres (moins quelques décimales)...
Sources :
J. Hill et al. Environmental, economic and energetic costs and benefits of biodiesel and ethanol biofuels. Proceedings of the National Academy of Sciences, June 2, 2007.
Photo : http://www.dervaesinstitute.org/presskit/pressphotos/biodiesel.jpg
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