dimanche 26 septembre 2010

Grand Nord : la bataille du XXIème siècle ?

Le 28 juillet 2010, Radio Canada et le National Post rapportaient la découverte de l'épave du HMS Investigator, disparu il y a 155 ans en Arctique alors qu'il recherchait le trajet du mythique passage du Nord-Ouest. Amis lecteurs, je pense ne pas me tromper en supposant que la nouvelle (dont vous n'avez selon toutes probabilités pas eu connaissance) vous a laissés de marbre à l'époque. Pourtant, si l'on en croit le ministre de l'environnement canadien Jim Prentice, c'est un tort : il s'agirait en effet d'une découverte "fondamentale".

Pas étonnant, me direz-vous. Une telle épave présente certainement un grand intérêt historique pour le Canada, qui peut ainsi rendre hommage aux intrépides aventuriers qui bravèrent la banquise pour cartographier le grand nord. Sans doute. Néanmoins, je ne peux pas m'empêcher de noter qu'aux yeux des Canadiens du début du XXIème siècle, elle semble surtout présenter un intérêt politique de premier plan.


L'Arctique échauffe les esprits
C'est que depuis quelques années, le Canada s'inquiète. Le réchauffement climatique menace en effet de rebattre toutes les cartes géopolitiques de l'Arctique et le pays ne voudrait pas rater le coche. L'enjeu est énorme : gaz naturel, pétrole, diamants, minerais, poissons... c'est environ le quart des ressources naturelles mondiales qui dormirait pour l'instant sous les glaces. Avec la fonte de ces dernières, cet eldorado est en passe de devenir accessible, ce qui suscite la convoitise de tous les pays circumpolaires (États-Unis, Canada, Russie, Danemark, Norvège et Russie).

D'un océan à l'autre... et à l'autre ?
Si la souveraineté du Canada sur les îles qui bordent sa côte nord n'est pas contestée, les choses sont loin d'être aussi simples lorsque l'on commence à s'interroger sur les fonds marins. D'après la Convention des Nations Unies sur le droit de la Mer, qui a été ratifiée par le Canada, un état bénéficie d'une zone économique exclusive, qui s'étend sur 200 miles marins à partir de sa côte. L'état côtier y dispose d'un droit exclusif de pêche et de propriété des ressources minérales des fonds. Au delà de cette zone commencent les eaux internationales, dans lesquelles tout autre état peut pêcher, effectuer des recherches, naviguer comme bon lui semble et se livrer à des opérations de prospection. La règle, simple en apparence, cache cependant une exception redoutable : le plateau continental. La Convention stipule en effet que dans le cas où le plateau continental d'un pays (c'est à dire le plateau sous-marin sur lequel se prolonge un continent et qui précède les abysses) s'étendrait au delà de 200 miles marin, le pays pourrait revendiquer l'extension de sa zone économique exclusive, soit jusqu'à 350 miles marins de la côte, soit jusqu'à 100 miles d'une ligne tracée à partir d'une profondeur moyenne de 2500 mètres... On comprendra dans ses conditions l'intérêt soudain que portent les pays arctiques à la cartographie de leur plateau continental !

Dans ce domaine, la Russie possède sans conteste une longueur d'avance : elle s'intéresse en effet de très près aux chaînes de montagnes sous-marines de l'Arctique (dorsales de Lomonossov et de Mendeleïev), qu'elle revendique depuis plusieurs années comme des prolongements de son plateau continental... au grand dam des autres pays circumpolaires.

L'épineuse question du passage du Nord-Ouest
Si le débat autour des profondeurs marines est loin d'être réglé, c'est également vrai des eaux qui les recouvrent. L'ouverture annoncée du passage du Nord-Ouest représenterait en effet une aubaine pour les armateurs du monde entier, qui pourraient de ce fait effectuer le trajet Londres /Yokohama en 16 000 km au lieu de 23 000 km actuellement via le canal de Panama. La chose n'est certes pas pour demain. Mais dans un avenir plus lointain, l'ouverture du passage risque de se traduire par une forte augmentation de la menace de marées noires sur un écosystème particulièrement fragile et en pleine mutation. Outre la faune et la flore, un tel évènement frapperait durement les Inuits, dont la culture est déjà fortement menacée par l'occidentalisation et le réchauffement climatique. Dans ces conditions, le statut de ce passage (détroit international ou eaux intérieures canadiennes) n'est pas du tout anodin. Les règles internationales de navigation sont en effet beaucoup plus lâches que le droit maritime canadien. Nous ne devrions donc pas nous étonner que le gouvernement canadien juge "fondamentale" la découverte d'une épave au large de l'île de Banks, surtout si celle-ci démontre que le pays patrouille les eaux arctiques depuis 155 ans...

Pour en savoir plus : Perdre le Nord ? de Dominique Forget (2007) aux éditions Boréal Névé.

Image 1 : oui, bon, ce n'est pas vraiment l'Arctique, mais c'est quand même un bord de mer hivernal au nord de l'Amérique du nord... Photo Sophie.

Image 2 : carte de l'Arctique, montrant les frontières reconnues, les limites équidistantes et les revendications territoriales russes. Auteur : Séhmur.

Aucun commentaire: