vendredi 1 juin 2007

La tragédie des biens communs ou Sophie chez le dentiste


Pierre et la vache

Aujourd'hui, Pierre est heureux. Sa vache, Marguerite, vient de vêler et le veau est une femelle! Grâce à elle, Pierre va non seulement pouvoir subvenir aux besoins de sa famille, mais probablement qu'il lui restera même du lait en surplus. En le vendant, il devrait pouvoir réunir suffisamment d'économies pour acheter dans quelques temps une troisième vache...

Alors que Pierre s'imagine déjà riche, il a conscience que sa volonté d'aggrandir son cheptel présente aussi un inconvénient : elle va contribuer à accroître la pression de pâturage sur le pré commun du village, où paissent toutes les vaches des alentours. Mais Pierre est avant tout quelqu'un de rationnel; les avantages d'élever le veau sont entièrement pour lui, alors que les désavantages qui résultent du surpâturage seront supportés par l'ensemble des villageois. Il n'y a donc pas vraiment à hésiter...

Une histoire vieille comme le monde

Mais Pierre n'est pas le seul à se tenir ce raisonnement : tout autour de lui, les autres villageois ont également parfaitement compris l'intérêt pour eux d'aggrandir leur cheptel, quelles que soient les conséquences pour la communauté. Et c'est ainsi que débute la tragédie des biens publics, une très vieille histoire et un véritable casse-tête pour l'humanité.

N'allons pas nous imaginer que l'histoire du pré commun ne nous concerne pas. Elle n'a pas disparu avec l'exode rural. Ses formes actuelles sont simplement moins évidentes, parce qu'elles concernent maintenant des surfaces beaucoup plus importantes qu'un pré commun de village.

Sophie et le dentiste

Prenons Sophie, par exemple. Elle vit aux Etats-Unis et depuis quelques temps, elle a mal à une dent. Au bout de quelques semaines de tergiversations, elle se décide à aller voir un dentiste. Celui-ci lui annonce, sans sembler particulièrement surpris, qu'elle a non pas une carie, comme elle le pensait initialement, mais six! Le coût total du soin à réaliser s'élève à... 900$. Sophie, habituée aux soins presque gratuits fournis en Europe, manque avoir une crise cardiaque.

Mais Sophie,tout comme Pierre, sait encore compter. Après une petite vérification sur internet, elle découvre que le prix aller-retour d'un billet d'avion Etats-Unis/Europe est de 650$. La décision lui parait évidente: elle va rentrer en Europe faire soigner ses caries par son dentiste habituel, qui lui inspire plus confiance (et lui coûtera moins cher).

Cela vous surprendra peut-être, mais Sophie a conscience du coût environnemental de sa décision. Elle sait (elle tient d'ailleurs un blog sur le sujet) que le vol transatlantique équivaut quasiment à une année d'émissions de gaz carbonique pour un Allemand. Mais comme Pierre, elle sait aussi que si les bénéfices qu'elle en retire personnellement équivalent à 1, alors les inconvénients résultant de sa décision équivalent à 1 divisé par six milliards d'hommes... Et comme Pierre, Sophie prend la décision qui lui est la plus favorable.

Si Sophie avait eu à payer personnellement le coût environnemental de sa décision, elle n'aurait jamais pris l'avion pour l'Europe (ce qui lui aurait évité de s'entendre dire par son dentiste, un homme de confiance qu'elle n'a en réalité aucune carie). Et si Sophie et Pierre étaient les seuls à se tenir ce genre de raisonnements, nous ne serions pas confrontés aujourd'hui au problème du réchauffement climatique. Mais voilà: Sophie n'a rien payé en plus et elle est très loin d'être la seule à se tenir ce genre de raisonnements.

Changement d'échelle, changement de problème

Nous sommes actuellement plus de six milliards à vouloir consommer du carbone sous une forme ou une autre. Or, notre façon de gérer cette ressource reste basée sur des réflexes hérités de nos ancêtres, lesquels étaient notablement moins nombreux. Il n'était pas vraiment problématique de prendre un vol transatlantique en 1950, lorsque la terre ne comptait que deux milliards et demi d'habitants et que bien peu d'entre eux possédaient assez d'argent pour le faire. Mais nous sommes en 2007 et nous avons changé d'échelle... et donc de problème. Il est plus que temps que nous assumions individuellement le coût réel de nos actions.

Photo : http://www.aroundtheworlds.com/photos/france/normandie003.jpg

2 commentaires:

Unknown a dit…

Sans aller chercher le cas extrêmes des vols transatlantiques, pourquoi est il plus économique (financièrement) de prendre un vol Paris Londres que le train ?
La pression sur le pré commun est différente mais le cout d'exploitation aussi ... enfin je pense. Il est moins couteux de faire avancer un train que de faire décoller un avion non ? Et dans le cas de Paris Londres le train est plus rapide que l'avion. Niarf ? Quelqu'un a une explication rationnelle ?

Sophie a dit…

Ta question est difficile, Lionel! J'y ai réfléchi hier, et j'aurais envie de dire que l'exemple du Paris-Londres est un peu spécifique.

Pour commencer, Paris-Londres est une ligne internationale, qui a coûté une petite fortune à installer (à cause du tunnel). D'après ce que j'ai compris, le prix du trajet est élevé à cause d'un accord France-Grande Bretagne, qui tient compte des coûts d'exploitation du fameux tunnel.

Par ailleurs, comme tu le fais remarquer, le temps de trajet en train est moins long que l'avion sur ce trajet. Du coup, les compagnies aériennes ont peut-être très intérêt à réduire leurs prix pour faire face à cette concurrence (elles peuvent toujours compenser les pertes sur d'autres trajets).

Pour finir, lorsque la SNCF a inauguré le TGV est-européen, je me souviens avoir lu l'interview d'un responsable quelconque à la SNCF, qui faisait remarquer que la vaste majorité des usagers du train ne payait aujourd'hui pas leur place à plein tarif.

Je me demande si nous ne devrions pas tenir compte de tous ces facteurs et comparer le prix d'un billet de train et celui d'un billet d'avion sur une ligne moins spécifique, comme Paris/Marseille, par exemple.