mercredi 22 août 2007

Le noir secret du labour


Lorsqu'on pense aux émissions de CO2 des Etats-Unis, on imagine en général des centrales à charbon et des grosses voitures. On visualise plus rarement les immenses surfaces agricoles de la Corn Belt et des grandes plaines. Pourtant, le sol des grandes plaines émet du CO2.

Le carbone: un élément qui a la côte auprès des organismes vivants

Voici l'explication: comme tous les êtres vivants, les plantes ont besoin de carbone pour vivre. Ce carbone, elles l'absorbent dans l'air sous forme de CO2 et elles l'utilisent pour construire leurs cellules. Lorsqu'elles meurent, les plantes se décomposent et le carbone qu'elles contiennent se retrouve dans la terre. Dans les grandes plaines américaines, des milliers de générations successives de plantes ont entrainé la production d'une couche superficielle de terre riche en carbone, qu'on appelle l'humus.

Mais ce carbone ne reste pas forcément dans le sol: en présence d'oxygène, l'humus est en effet consommé par des bactéries, qui vont rejetter le carbone qu'il contient dans l'atmosphère sous forme de CO2. En pratique, leur action équivaut à brûler de la matière organique végétale enfouie depuis des millénaires dans le sol. Voilà qui devrait nous sembler familier, puisque c'est exactement ce que nous faisons lorsque nous mettons du pétrole dans une voiture!

De l'absorption à l'émission: l'impact européen

La respiration bactérienne n'est pas un problème en soi. Ce qui est problématique, c'est lorsque la quantité d'humus en contact avec l'oxygène augmente suffisamment pour que le rejet de CO2 soit supérieur à l'absorption des plantes. C'est ce qui est arrivé lorsque les premiers agriculteurs d'origine européenne se sont installés dans les grandes plaines, amenant avec eux une technique de culture utilisée depuis des siècles en Europe : le labour.

Le labour consiste à retourner les premiers 15 ou 20 centimètres du sol de manière à casser les racines des mauvaises herbes et à diminuer les populations de limaces. C'est donc en premier lieu une technique de lutte contre les ravageurs. Malheureusement, le retournement du sol permet aussi l'exposition à l'air libre de l'humus enfoui depuis des millénaires dans un milieu sans oxygène... Et voilà comment le sol se met à émettre du CO2.

Le potentiel insoupçonné du sol

A combien s'élève la contribution du travail du sol? Par le passé, elle a été importante : Rattan Lal, un podologue de l'Ohio State University, estime que depuis les débuts de l'agriculture, les pertes de carbone par le sol se seraient élevées à 80 millions de tonnes. En fait, jusque dans les années 50, le sol aurait été la principale source d'émissions cumulées de CO2, bien avant le pétrole et le charbon. Le siècle de culture des grandes plaines aurait à lui seul entraîné l'émission de plus de 100 tonnes de CO2 à l'hectare!

La bonne nouvelle, c'est que si les sols peuvent perdre du CO2, ils peuvent aussi le réabsorber. Il "suffit" pour cela d'abandonner la technique du labour (ce qui implique toutefois des inconvénients importants en terme d'usage accru des pesticides). Selon certaines estimations optimistes, chaque hectare non labouré en Iowa pourrait ainsi capturer plus de 2 tonnes de CO2 par an. Et si toutes les terres agricoles américaines étaient cultivées sur ce principe, le sol pourrait potentiellement absorber plus de 100 millions de tonnes de CO2 par an, assez pour compenser la moitié des émissions liées aux véhicules américains! L'administration Bush, toujours à la recherche de solutions pour ne rien changer au mode de vie américain, est d'ailleurs très intéressée par ce potentiel...

Une nouvelle technique de capture du CO2?

Là où le bât blesse, c'est les agriculteurs américains ne sont pas idiots. Si l'intérêt du non-labour se limite à capturer un gas invisible dans le sol, alors que les coûts d'usage des pesticides augmentent, le jeu en vaut difficilement la chandelle. Mais voilà : il y a de plus en plus de sociétés aux Etats-Unis qui se déclarent prêtes à payer pour compenser leurs émissions (c'est ce qu'on appelle l'offsetting). Le résultat, c'est que selon l'Iowa Farm Bureau, 2000 agriculteurs de l'Iowa sont d'ores et déjà payés quelques dollars pour chaque hectare non-labouré. Un nouveau débouché agricole viendrait-il de se créer? Suspens...

Sources:
The dirty Truth about plowing, ScienceNOW Daily News.

Photo : http://www.manishin.com/photos/best_photos/Images/great_plains.jpg

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