vendredi 26 juin 2009

La grande migration agricole

Dans mon travail, je brasse beaucoup de chiffres. Trop pour m'arrêter plusieurs jours sur chacun d'entre eux.

Bizarrerie scandinave
Il y a un mois, j'ai cependant été interpellée par le fait que pour la deuxième année consécutive, une production de maïs était répertoriée en Suède. Si cette information n'avait pas été de source officielle, j'aurais cru à une erreur ; le maïs est en effet une plante tropicale. Certes, le développement de variétés septentrionales permet de la cultiver dans l'hémisphère nord. Cependant, elle reste peu adaptée au climat suédois.

Les choses en seraient sans doute restées là si je n'étais pas tombée la semaine suivante sur un article décrivant la formidable progression de la culture du maïs au Danemark : alors que la surface consacrée au maïs atteignait péniblement 20 000 ha au début des années 1990, elle avait presque été multipliée par dix en 2008. Parallèlement, la date optimale de semis s'était décalée du 1er mai au 20 avril. Pour un agronome, une telle information revient à allumer un voyant rouge : 10 jours de décalage d'une date de semis, c'est énorme!

A la conquête du nord
Très intriguée, j'ai donc commencé à regarder les données concernant la surface de maïs de façon détaillée. Voici ce que j'ai trouvé :
Graphique : les données sont issues des offices statistiques des différents pays décrits.

Dans l'extrême nord de l'Europe (Danemark, Pologne, mais aussi Suède et états baltes), la surface de maïs a cru très fortement entre 1995 et 2008. C'est aussi le cas en Allemagne, où la surface a augmenté de 500 000 ha depuis 1995 (ce qui représente proportionnellement une hausse moins importante, car la surface allemande était déjà élevée en 1995). En revanche, la surface de maïs a tendance à rester stable, voire à décroître, dans le sud de l'Europe (Italie, France, Slovaquie, mais aussi Espagne ou Hongrie).

Face à une évolution aussi constante et aussi contrastée entre le nord et le sud d'un continent régi par la même politique agricole, j'ai commencé à soupçonner que ce que j'observais était le résultat d'un changement rapide de climat. J'ai donc appelé l'un des grands spécialistes français de la physiologie des céréales.

Ma remarque ne l'a pas du tout surpris. En fait, elle correspondait à ce qu'il observait depuis des années : une remontée des espèces vers le nord au fur et à mesure que la fenêtre de culture des plantes s'élargissait - la fenêtre de culture correspond à la période qui sépare la date de semis de la date de récolte. Pour une plante comme le maïs, la fenêtre de culture est longue (au moins 5 mois). Dans un pays où les étés sont frais et les hivers précoces, la plante ne pourra donc pas achever son développement avant les premiers froids, ce qui limite singulièrement l'intérêt de la cultiver.

Quid du sud?
Ceci laisse une grande question : qu'en est-il dans le sud de l'Europe? Dans les pays méditerranéens (Italie, Grèce notamment), la surface laissée en jachère a en effet tendance à s'accroître. En Italie, cette hausse de la jachère concerne le sud du pays, où la culture du blé dur ou de l'orge a tendance à être abandonnée.

Mon interlocuteur a marqué un silence. "C'est une vraie question, m'a-t'il finalement dit. Les conditions climatiques qui sont envisagées pour le sud de l'Europe vont probablement dépasser les capacités d'adaptation d'une espèce comme le blé. La solution passe plutôt par de nouveaux assolements, basés sur des espèces plus résistantes à la sécheresse. Qui sait? En 2030, les Italiens cultiveront peut-être du sorgho ou du millet..."

Si c'est le cas, on peut s'interroger sur ce que cultiveront les Maliens ou les Mauritaniens...

English version: heading north, the great crop migration

Image 1 : champ de blé dur en Toscane
Image 2 : champ de sorgho aux Etats-Unis