mercredi 10 mars 2010

Science sans conscience ?

A moins d'être exilé sur Mars, il est bien difficile de ne pas avoir entendu parler du "scandale climatique" qui agite depuis quelques mois les médias et les internautes. Complot des scientifiques, fraude généralisée, absence de vérification des sources... les accusations pleuvent. Il est temps de procéder à une mise en situation, basée sur l'excellent travail d'investigation réalisé par Fred Pearce, contributeur régulier au Guardian.

L"affaire" ou les dessous d'un conflit
Le Climategate - à la base de l'agitation actuelle -, c'est avant tout l'histoire d'une guerre. Une guerre sans gloire et sans merci, teintée d'idéologie. Une guerre qui, comme tous les conflits dignes de ce nom, n'est pas exempte de victimes ; dans ce cas précis, la principale d'entre elles est sans nul doute la Science.

Comme souvent en la matière, les germes du conflit ne sont pas récents ; ils remontent à la fin des années 1980. C'est en effet à cette période que fut créé un panel d'experts chargé de se pencher sur l'ensemble des connaissances scientifiques accumulées dans le domaine du changement climatique. Ce panel, c'est bien sûr le GIEC, dont la tâche consiste à synthétiser la très grande masse de publications disponibles sur le climat dans un rapport publié à intervalles réguliers et conçu comme un outil d'aide à la décision à l'usage des dirigeants politiques.

Des origines d'un grand écart...
C'est là que le bât blesse, car science et politique ne font pas forcément bon ménage. Par certains aspects, les deux approches sont même incompatibles : là où les scientifiques se nourrissent de polémiques et d'incertitudes, les hommes politiques réclament des conclusions claires et tranchées. Dès l'origine, les scientifiques en charge de la publication des rapports du GIEC ont donc été confrontés à un dilemme : comment résumer en un rapport - en réalité, en une synthèse de quelques pages, car c'est la seule partie du rapport qui sera lue à grande échelle - toute la complexité et l'urgence soulevées par la question du changement climatique ? La solution retenue tient en un mot : simplification. De manière prévisible, cette dernière s'est faite au détriment des incertitudes soulevées par la communauté scientifique.

... et de ses conséquences
Dans les années 2000, cette simplification a eu pour effet d'alimenter la suspicion d'un certain nombre d'individus qui, s'ils n'étaient pas membres de la communauté scientifique, bénéficiaient en général d'une formation en mathématiques ou en statistiques. Souvent jeunes retraités, ces individus isolés ont mis à profit leur temps disponible pour reprendre les données ayant servi aux principales conclusions du GIEC. Par l'intermédiaire de leurs blogs, ces sceptiques ont tenté de démontrer que les données avaient été mal utilisées ou provenaient de jeu de données biaisés, donc inutilisables. Dans la grande majorité des cas, les critiques dont ils ont couvert la Toile ne soutiennent pas un examen attentif. Cependant, la propagation des idées se joue moins sur leur objectivité que sur leur fréquence ; le décalage croissant entre des scientifiques enfermés dans leur tour d'ivoire et ne jurant que par l'évaluation de leurs analyses par leurs paires, et la rapidité de diffusion des idées sur internet s'est rapidement révélée favorable aux sceptiques.

Cette différence d'expression a permis d'entretenir un flou sur la question climatique, flou que la communauté scientifique, de plus en plus en proie à une mentalité d'assiégé, n'a pas su lever. A sa décharge, il faut reconnaître que le débat objectif a été compliqué par l'action de lobbies économiques ou politiques, pour qui la mise en place de mesures contraignantes de limitations des émissions de gaz à effet de serre menace d'être catastrophique. N'hésitant pas à acheter des scientifiques pour entretenir la cacophonie ambiante, criant au complot planétaire contre la liberté individuelle et la démocratie, ces derniers se sont lancés dans une guerre d'usure contre les laboratoires travaillant sur la question climatique. La pression croissante pesant sur les chercheurs n'a pas été sans conséquence ; certains d'entre eux ont dérapé.

Effet boomerang ?
C'est ce qui s'est produit à l'université d'East Anglia au Royaume-Uni, où sont récoltées les données météorologiques utilisées pour évaluer les variations de températures à l'échelle mondiale. Au fil des années, certains chercheurs du département de climatologie, membres du GIEC, en sont arrivés à refuser de fournir des données aux sceptiques qui les réclamaient, allant possiblement jusqu'à les supprimer pour qu'elles ne tombent pas entre leurs mains. Ils en sont également venus à tenter d'empêcher la publication des articles des sceptiques dans les revues scientifiques ou à boycotter les revues soutenant des thèses contraires aux leurs.

Ces pratiques peu reluisantes ont été brutalement révélées au grand jour en novembre 2009, lorsqu'un millier de courriels échangés entre 1996 et 2009 ont été relâchés sur internet : c'est le fameux Climategate. "L'affaire" porte un sérieux coup à l'image d'intégrité des scientifiques et incite à s'interroger sur la nécessité d'une réforme du fonctionnement du GIEC. Néanmoins, en révélant les dessous d'une guerre idéologique, elle montre aussi le manque de scrupules et l'attitude partisane de nombreux sceptiques. En définitive, cet étalage de linge sale au grand jour semble se retourner contre ses instigateurs : en dépit du comportement opaque de certains chercheurs et d'erreurs significatives dans le rapport 2007 du GIEC, les données accumulées en plusieurs décennies continuent en effet de montrer un changement climatique, très probablement induit par l'homme. Les conclusions du rapport 2007 du GIEC sont donc encore valides, ce qui laisse les sceptiques orphelins du scepticisme éclairé... mais enfants du négationnisme.

2 commentaires:

Anonyme a dit…
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
Sophie a dit…

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