"Dans mon enfance, avant 1950, nous écoutions la "TSF" à table, (...) notamment une émission à succès qui s'intitulait fièrement "40 millions de Français". (...) La télévision en noir et blanc était encore une curiosité hors de prix et la voiture un grand luxe. Nous sommes aujourd'hui 64 millions de Français avec, presque tous, télévision, voiture, téléphone portable, machine à laver, etc. A l'école, j'apprenais que l'empire des Indes comptait 400 millions d'habitants : Inde, Pakistan, Bangladesh totalisent aujourd'hui près du triple et leur mode de vie change très vite".
Ainsi parle Bertrand Barré, ingénieur spécialiste du nucléaire, dans un récent article publié par l'Expansion. Loin de représenter un accès de nostalgie un peu ringard, ces propos sont significatifs. Ils illustrent en effet le changement sans précédent qui a marqué l'humanité au cours des dernières décennies.
Selon l'ONU, la population mondiale a ainsi pratiquement triplé en deux générations, passant de 2,5 milliards d'humains en 1950 à presque 7 milliards en 2010. Durant la même période, le niveau de vie des individus a beaucoup augmenté. En regardant l'espérance de vie à la naissance, un indicateur qui reflète des aspects aussi variés que le taux de mortalité infantile, les politiques de santé publique et l'accès aux soins médicaux et à la nourriture, on constate une progression fulgurante des chiffres. Alors qu'en 1900, un Américain ou un Britannique avait une espérance de vie à la naissance de 47 ans, un bébé naissant dans les même pays aujourd'hui peut espérer vivre près de 80 ans. Dans un pays très pauvre, comme le Bangladesh, l'espérance de vie à la naissance est d'ores et déjà supérieure de plus de 15 ans (64 ans) à celle observée aux États-Unis et au Royaume-Uni en 1900.
Selon toute probabilité, ces différents chiffres ne vous sont pas totalement étrangers. Ils sont évoqués de manière suffisamment fréquente pour ne plus susciter qu'un intérêt modéré chez la plupart d'entre nous. Pourtant, ils sont loin d'être anodins. La conjonction de la hausse spectaculaire du niveau de vie et de la taille de la population explique en bonne partie l'envolée des émissions de gaz à effet de serre observée au cours des dernières décennies. Mais en plus d'être la cause du problème, ces deux évolutions conditionnent également les réponses que nous pouvons y apporter. En effet, il est probable que les réflexes hérités du passé, y compris du passé récent, se révèlent obsolètes dans le contexte actuel. Les solutions adaptées à un monde de 3 milliards d'humains (avant 1960) ou de 5 milliards d'humains (1990) ne sont probablement pas les plus à même de répondre aux besoins d'un monde de 7 milliards d'humains ou plus.
Quelque part au cours du 20ème siècle, l'humanité a changé l'échelle du problème auquel elle était confronté. Par là même, elle a également changé la nature du problème. Cet aspect n'est pas forcément bien intégré dans les solutions proposées pour le résoudre. Il serait pourtant important d'en tenir compte... car c'est rarement dans l'urgence que l'on se révèle le plus créatif.
Image : évolution démographique depuis le Néolithique. Source : musée de l'Homme
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